Rien ne fut comparable à la colère ressentie par le jeune garçon face à la convocation qu’il retrouva traînant dans ses affaires alors qu’il s’apprêtait à entamer un devoir de potions. La date lui avait échappé, comme cela semblait souvent se produire depuis la rentrée, à cause du traumatisme de la guerre sans doute. Un léger dégoût se dessina sur ses traits tandis que ses doigts froissaient le papier, pour ensuite le déchirer en un joli tas confettis qui alla décorer le lit de First. Bien fait pour lui. Même s’il n’avait rien à voir dans cette histoire. A cet instant, le Nasteen ne songeait à rien d’autre qu’à ce rendez-vous obligatoire, forcé, punitif, auquel il se trouvait contraint de se rendre contre sa volonté. Cela l’étonnait presque qu’ils aient planifiés un second rendez-vous après l’échec du premier. Quoique ce terme était encore bien trop positif au vu de la colère qu’avait piqué le gamin lorsque ce foutu psy’ avait voulu qu’ils parlent. S’il avait coupé volontairement sa voix ce n’était pas pour la retrouver, et certainement pas pour discuter avec un inconnu insupportable. Les hurlements résonnaient encore dans son esprit chaque nuit ; ses propres cris, qui refusaient de se taire, même s’il n’écartait pas les lèvres. Personne n’avait le droit de toucher ses souvenirs. Pas même de les effleurer. La simple idée, tellement dénuée de sens, que cet homme avait de pouvoir l’aider lui retournait l’estomac. D’ailleurs, à aucun instant il ne croyait en la bonne foi de l’individu. Le médecin mental désirait juste être payé, voilà tout.

Ses doigts se prirent dans sa cravate violacée alors qu’il tentait de la décrocher de son cou. Visiblement, il l’avait encore trop serrée. Hors de question qu’il y aille avec l’uniforme. Sans compter que retirer la pièce de tissu de son cou l’empêcherait d’étrangler son aîné avec, pas que faire cela l’aurait dérangé bien sûr. Lorsqu’il arriva enfin à la balancer sur son lit, son corps frêle se tourna vers son armoire. Etre en retard n’était pas dans ses habitudes ; s’attirer des problèmes en étant insolent déjà plus. Rapidement, son uniforme fut échangé pour un short noir et un grand haut blanc, aux manches beaucoup trop longues. Sans doute l’avait-il piqué dans l’armoire de Souless. Pour aller avec ceci, une paire de bottines noires furent ajoutées, ainsi qu’un collant noir sous le short. Ce qui n’allait pas du tout avec. Une fois de plus, son sens vestimentaire frôlait le mauvais goût. Ce n’était, de toute manière, pas comme s’il s’en rendait compte. Abandonnant sa baguette, qui était inutile puisqu’il était dans l’incapacité de balancer le moindre sort, dans sa valise, le gamin quitta son dortoir pour arpenter les couloirs de Swelty.

Plusieurs fois, ses doigts redressèrent ses lunettes et il n’hésita pas à s’arrêter, malgré son retard, pour saluer Sullivan et l’écouter lui dire quelque chose avant de lui donner un papier, sans doute pour First. Évitant de se plaindre, après tout il obtenait une excuse pour être en retard en étant coursier, il glissa le papier dans la poche de son short pour continuer son chemin. L’idée de tourner les talons pour retourner au dortoir s’acquitter de la tâche que l’on venait de lui confier traversa son esprit de génie, durant un bref instant. Etre en retard était une chose et louper un rendez-vous qu’il faudrait reprendre en était une autre. Mieux valait ne pas pousser trop loin la torture. Un soupir, assez bas, lui échappa ; le simple fait d’être au quatrième étage lui donnait envie de fuir. Ce qu’il semblait faire par son mutisme par ailleurs. Une façon bien lâche d’éviter les questions et les souvenirs par ailleurs.

Ses chaussures raclèrent le sol tandis que la porte du bureau du psy’ apparue dans son périmètre de vision. Si cet homme, bien que magnifique, essayait encore une seule fois de lui arracher le moindre mot, nul doute que le sale gosse tenterait de lui éclater la tête sur son bureau. L’anonymat offert par le lieu était tout ce qu’il y avait de positif à son sujet. Ainsi, même une personne souffrant de brutaux accès de colère était considérée comme innocente. En tout cas, c’est ainsi que ce cher Rainy voyait les choses. Ses doigts se posèrent sur le bois de ce qui le séparait encore de l’enfer. Et, brutalement, sans que rien ne l’ait laissé présager, sa main s’écarta et ce fut son pied qui entra en contact avec le bout de bois. La lourdeur des chaussures du Nasteen donnait une certaine puissance à son geste et une marque sombre resta sur la pauvre porte qui n’avait rien demandé. Ce qui ne lui importa pas le moins du monde. Il avait frappé, comme on lui avait dit de faire. Aucune phrase n’avait été prononcée à propos du fait que cela se faisait avec la main et non avec le pied.

Quel dommage. Vraiment. Ce type était encore là. Pourtant, Swelty ne manquait pas d’activités passionnantes qui avaient le mérite d’être plus saines que de vivre derrière un bureau à écouter des dépressifs se plaindre de leur misérable existence. Les psychologues n’étaient pas les ennemis du Nasteen. Enfin, cela était vrai jusqu’à ce qu’il rencontre monsieur Carter, alias ‘je suis là pour t’aider même si tu ne le veux pas le moins du monde’. Le simple fait d’entendre la voix, chaleureuse qui semblait teintée de bons sentiments, lui donnait envie de prendre l’homme comme punching ball. Le regard bleuté du garçon trahissait déjà une colère naissante. Cela était cependant une facette de sa personnalité qui avait toujours été présente. Enfin, aussi loin que remontaient ses souvenirs. Ses yeux entourés de la fine poudre rouge qui composait le traitement pour son regard abîmé, pour ne pas dire transpercé, durant la guerre, restèrent un long moment à fixer la porte close. La simplicité de la fuite fut ce qui la rendit impossible. Trop lâche, même pour quelqu’un comme Rain. Alors son corps s’appuya sur la porte, l’ouvrant brutalement. Cela le fit chanceler ; son geste avait été trop colérique et mal calculé.

Nul bonjour n’émana de sa personne. Un simple hochement de tête aurait pourtant été adapté à sa pathologie s’il n’avait pas refusé le moindre effort pour communiquer. Un moment se passa où le seul geste du garçon fut de réajuster ses lunettes, une fois de plus. Puis, d’une démarche sûr de lui, le corps frêle s’approcha de son aîné. S’asseoir sur le bureau de l’adulte ne posa aucune difficulté au gamin. Quand à ce qui prenait la place qu’il souhaitait occuper… Eh bien, tout alla rencontrer brutalement le sol. Ce qui était de valeur avait forcément été écarté de toute manière. Sauf si le plus âgé avait sous-estimé la capacité de Rain à insister sur ce qui ne lui plaisait pas à chaque rendez-vous. Le lieu, l’homme, le but de ces entretiens… Quelques points dénués d’importance que l’enfant qui n’en était plus vraiment un ne pouvait pas souffrir. Les mains aux ongles vernis de noir faisaient tomber tout ce qui se trouvait sur leur route. La fois précédente, les papiers avaient, en plus, été déchirés en morceaux mais l'idée ne lui vint pas cette fois-là.

Assis face à l’adulte, ou tout du moins à son fauteuil, ses pieds bougeant lentement dans le vide, ses yeux teintés de froideur ne le quittaient pas. Après un moment, sa langue, ornée d’un simple piercing qui n’était définitivement pas de son âge, se tira pour agacer celui qui, Rain en était persuadé, n’arriverait jamais rien à faire avec son cas. Pour affirmer cet état d’esprit, son pied cogna dans le siège de l’adulte, ceci sans la moindre douceur. Sa seule envie était de quitter ce lieu. Bien sûr, pour ne pas avoir à s’exprimer d’une manière ou d’une autre, le gamin n’avait pas emporté avec lui le carnet qui lui servait à mettre des mots sur certains points. Même si, pour rien au monde, sa voix n’aurait souhaité sortir de nouveau de sa gorge, garder le silence était parfois plus une contrainte qu’une obligation.

Indolent, Rain ne fait plus aucun geste brusque après ça. La fureur semble être retournée dans sa tanière pour un moment. Ses doigts jouent avec les bouts de ses manches qui recouvrent la moitié de ses mains et Carter semble être une plante verte inutile à la décoration du paysage. Les traits du visage presque androgynes restaient cependant renfrognés. Cela n’était pas réservé à ce rendez-vous. Sa joie de vivre… Sans doute lui avait-elle faussé compagnie bien avant la guerre, sans raison valable.

Lui cracher au visage. Prendre des feuilles et les réduire en miettes avant de balancer ces dernières sur sa tête. Un bon coup de pied à l’entrejambe serait sans doute efficace également. Le gamin, qui semblait avoir retrouvé un état moins agressif restait tout de même un sale gosse insolent dont les pensées n’avaient rien d’amicales. D’ailleurs, les paroles de son aîné ne firent qu’accentuer sa mauvaise humeur qui était déjà assez haute sur son échelle personnelle. Le ton de l’autre prouvait qu’il n’avait rien pigé à la situation et que les questions allaient revenir de toute manière. Peut-être plus tard. Peut-être sous une forme différente. Mais tant que ce bureau existerait, les séances de tortures morales continueraient. Le problème était là et il ne pouvait que se résoudre que si Rain cessait de venir ou bien qu’il affirmait sa supériorité à cet homme qui se croyait détenteur de tous les droits sous prétexte que lui possédait un diplôme. Une injustice flagrante. Le jeune garçon se devait d’y remédier et de faire basculer la situation à son avantage pour éviter quelque chose qui lui porterait préjudice.

Un éclat mauvais se dessina dans les yeux un peu trop grands lorsque le Nasteen entendit la suite des paroles de son vis-à-vis. Pas fait exprès ? En effet. Il l’aurait brisé, encore plus, sans doute en le balançant par la fenêtre, s’il avait vraiment voulu le détruire. Cet encrier moche et inutile. Les mains sur ses jambes frêles le tirèrent cependant de ses pensées. Un air d’abord étonné se dessina sur ses traits. Pour être rapidement remplacé par de la colère. Il tenta de se libérer, bougeant ses jambes tout en restant parfaitement silencieux. Même cela ne marcherait pas. Le mutisme resterait son allié le plus puissant. Rien ne fonctionnerait. Le génie avait prévu les choses ainsi et, en conséquence, il était persuadé que tout se déroulerait selon ses plans, comme d’habitude.

La demande lui arracha une sorte de rictus. Cet homme était-il un simple d’esprit pour lui demander de faire quelque chose qui l'aurait humilié? Les adultes se croyaient toujours au-dessus des autres, que cela était insupportable. Le génie, lui, savait que son intelligence le rendait supérieur d’une façon juste et normale. Hors de question qu’il cède à la menace. Pourtant, son expression redevint plus calme et il laissa l’autre le libérer sans protester. Uniquement pour mieux pouvoir répliquer. Avec une certaine grâce, le gamin se leva, pour marcher jusqu’à l’endroit où l’encrier était tombé, brisé. Comme lui l'était. Un instant, son corps se stoppa, alors que ses doigts touchaient presque l’encrier. Son esprit était vraisemblablement à la recherche d’une action correcte par rapport à la situation. Allait-il céder si facilement ?

Sa main gauche se serra sur le pauvre objet, enfin ce qu'il en restait. Il ramassa les éclats et les balança contre le mur, de toutes ses forces. Les débris se brisèrent un peu plus. Aucune trace de regret ne se glissa dans les yeux du garçon. Cependant, puisque nous parlons de ces derniers, l’on peut remarquer qu’ils se fermèrent au moment du choc. Juste une seconde. La peur d’avoir de nouveau les yeux crevés sans nul doute. En tout cas, pour l’instant, le gagnant semblait être sa personne. Comme pour assurer sa victoire, il s’approcha des restes de l’objet et donna un coup de pied dedans, éparpillant un peu plus les petits morceaux. L’insolence du gamin était intense et elle le resterait jusqu’à ce qu’on lui prouve qu’il devait plier face à plus fort de lui. Il pivota vers Carter et lui tira la langue, avec un air mauvais.

Une mélodie. Un assortiment de sons plutôt violents. C’était cela qui occupait son esprit la majorité du temps. Une musique assourdissante qui l’empêchait de se concentrer et de retrouver le calme qu’il arrivait, parfois, à obtenir, auparavant. Détruire s’accordait bien avec ce bruit incessant. Comme si, au final, tout était fait pour l’encourager à ne faire aucun effort. L’invitation à réduire en miettes le bureau de l’adulte l’attira donc. Peut-être qu’il cassait assez de choses, tout irait mieux. Exprimer sa colère l’aidera, voilà ce qu’un médecin avait lancé à sa mère pendant une visite lors des vacances d’été. Un conseil bien fourbe. Tout ne faisait que se briser un peu plus autour de lui et en lui depuis qu’il se laissait aller ainsi. Tout était bien mieux quand il pouvait conserver sa colère au fond de son cœur et ne jamais la montrer au monde.

La lassitude l’obligea à écouter. Ce n’était pas une vaine recherche d’espoir. Juste une solution peu tangible que l’autre tenait absolument à exprimer. Alors la rage et l’insolence laissèrent place à un calme relatif qui n’allait certainement pas durer. Cependant, l’on pouvait qualifier cela comme son plus grand progrès depuis qu’il était entré dans ce lieu. Globalement, par ailleurs, cette séance se déroulait bien mieux que la précédente. La dernière fois il n’avait même pas écouté. Les gens pensaient toujours savoir ce qu’il y avait de mieux pour sa personne et cela lui était insupportable. Pas son ennemi. La manière dont il s’adressait à lui était celle d’un adulte qui essaye d’expliquer quelque chose à un enfant capricieux. Cela l’agaça et ses doigts tirèrent un peu plus le bout de ses manches, jusqu’à ce que le tissu glisse carrément et lui dévoile une épaule. En soupirant, le gamin replaça son haut correctement. En même temps, il était évident que, à cet instant, son esprit était occupé à peser le pour et le contre des paroles de l’adulte. L’invitation à la violence vint alors, plus forte, plus puissante. Et surtout, dirigée vers ce grand corps bien formé. Immédiatement, Rain vit un piège dans la situation. Œil pour œil, dent pour dent, après tout.

Son insolence était limitée. Des barrières s’imposaient encore à lui. Le souvenir d’une éducation stricte, sur le point du respect, l’empêchait véritablement de considérer la question. Lui, si prompt à faire du mal, en ce moment, donna une réponse inattendue. Sa tête se tourna, de façon infime, de gauche à droite. Hors de question qu’il fasse cela. Et pourtant, ses mains se levèrent et l’une d’entre elles se posa sur la nuque du diplômé. Juste pour le faire se pencher un peu, rapprocher son visage du sien. Ses lèvres se posèrent sur celles de l’autre, juste quelques secondes. Un bref instant de calme qui fut coupé avant même que l’ainé ne puisse réagir. Le sale gosse s’écarta aussi rapidement qu’il s’était approché. Son corps alla de nouveau s’asseoir sur le bureau et il attrapa tira un stylo, typiquement moldu, ce qui était étrange de la part d’un sang-pur, pour ensuite attraper un morceau de parchemin. Sa main gauche serra un peu trop fort ce avec quoi il écrivait tandis que des lettres, tracées avec un calme relatif, apparaissaient au fur et à mesure.

‘Je déteste le monde entier. Je déteste la colère. Je vous déteste aussi. Changez ça. C’est votre travail.’

Sa réponse fut inscrite sous cette forme. Le stylo fut rangé et il contempla ses propres mots, hésitant à carrément déchirer la feuille. Et puis non. Cela ne le forçait à rien. C’était encore correct. Jamais il ne se serait vendu au diable aussi facilement.

Les yeux bleutés disparurent un moment derrière ses paupières. Son esprit se perdait dans une myriade de souvenirs. La bataille. Les cris. Les enfants qui voulaient absolument venir avec lui et First alors qu’ils étaient incapables de protéger qui que se soit. Son esprit refusait de se rendre après la montée de l’escalier en ce moment. Enfin, en journée tout du moins. Tant mieux, il ne voulait pas imaginer la suite. Non, ce n’était pas imaginer. C’était juste se souvenir. Comme avec l’hôpital et ce type qui racontait sa vie et qui délirait, à cause des sédatifs, à propos d’une cerise qui lui manquait. Un sacré personnage d’ailleurs. Ses prunelles apparurent de nouveau et son regard se porta sur ce qu’il venait d’écrire. Impulsif gamin qu’il pouvait être parfois. En tout cas, cela n’était qu’un brusque éclat de motivation, qui disparaîtrait sans doute plutôt vite. Cela fut d’ailleurs visible sur son visage. Ce dernier s’était de nouveau renfrogné. A croire que même l’idée d’être heureux ne lui plaisait pas. Quoiqu’il l’était parfois. Quand il était dans sa demeure, en Angleterre, avec son frère jumeau. Son Azel. La seule personne capable de le rendre véritablement bien dans son esprit. Ne pas l’avoir à ses côtés ici était sans doute ce qui le faisait se braquer autant. Après tout, leur relation était à la limite du fusionnel. Cela se voyait principalement par le fait qu’ils s’écrivaient chaque jour ou presque. Il n’y avait que pour lui que le garçon faisait des efforts. Mais il était vrai qu’il avait rarement besoin de se servir de sa voix pour communiquer avec son frère. Ils se connaissaient trop bien pour avoir besoin d’autre chose que de la simple présence de l’autre pour le comprendre.

Lorsque l’adulte lui vit redresser la tête, le gamin manqua de le frapper, de le repousser. Cependant, son corps resta immobile. Autant savoir de quoi il retournait avant d’agir. Quand au baiser de plus tôt… Sans doute l’échange n’était-il qu’une marque d’insolence et de colère. Jamais Rain n’avait semblé éprouvé le moindre intérêt physique pour quelqu’un d’autre que Dawn Souless, son si cher frère de cœur. Mais cela était une autre histoire que nous n’aborderons pas en ce lieu. Les paroles de Carter lui semblèrent un brin tendancieuses et une moue agacée se dessina sur ses traits. Premièrement, il ne comptait certainement pas y mettre du sien. Et encore moi l’aimer. Même l’apprécier lui semblait déjà impossible tant il abhorrait l’homme plus âgé que lui. A peine les lèvres de son-à-vis touchèrent-elles son front qu’il le repoussa, avec une force qu’il ne semblait pas avoir. Son bras se leva et sa manche trop grande passa sur son front, comme pour retirer le contact de la chair de l’autre contre sa peau. Une lueur sombre passa dans ses yeux blessés durant la guerre.

Le geste était en effet destiné à un enfant. Ce que le garçon n’était plus. Malgré ses treize ans, il n’avait pas l’impression d’être encore un gosse. De toute manière, son intelligence lui donnait le droit de prétendre être une grande personne à sa guise. Ce qui ne l’empêcha pas de tirer sa langue percée au plus âgé. Son corps recula de quelques pas jusqu’à ce qu’il atteigne la porte. C’était suffisant pour ce rendez-vous d’après lui. Plus la moindre envie de progresser ne lui restait. Son seul but, à présent, était d’aller jouer aux cartes avec Leonard et ensuite de bosser sur ses devoirs pour se détendre. L’insolent Rain pivota, une fois de plus, vers l’adulte et il soupira avant de lever la main, faisant un vague signe qui pouvait s’apparenter à un au revoir. Ceci après avoir donné un grand coup de pied dans un fauteuil qui se renversa presque sous le choc. Visiblement, ce n’était pas gagné.

Le choc sur le visage de l’autre ne lui suffit pas. Ce n’est jamais assez. Puis il y a la chute. Qui semble ridicule tant elle est dénuée de grâce. En voyant son vis-à-vis partir en arrière, le gamin a envie de crier victoire. L’ennemi admet sa défaite et se laisse tomber au fond de ce qui n’est que le néant pour se punir de son humiliation. Il ne réalise sa propre situation que lorsque ses pieds ne touchent plus le sol et que son corps heurte celui de l’autre. Il a fermé les yeux, une seconde, comme si cela pouvait empêcher le choc. Ne pas voir ce qui nous arrive ne permet cependant en aucun cas de sauver nos existences. Un de ses genoux heurta le sol. Aucune plainte ne lui échappa. A quoi bon crier ? Ca ne fait pas partir la douleur. Lui, dont on avait stoppé les hurlements de force se rappelait bien qu’il n’y avait pas la moindre différence entre bruit et silence. Ses prunelles sombres apparurent de nouveau. Un soupir dénué de son passa ses lèvres.

La situation devenait incompréhensible. Tout empirait aujourd’hui. Faire des efforts ne servirait à rien. Il n’avait même pas envie de se souvenir de sa propre voix. Pas avec une mémoire aussi fragilisée sur le sujet. Son genou ne lui faisait pas mal, malgré la force de l’impact. Depuis la guerre, il avait l’impression que la douleur était illusoire. Incomparable à celle ressentie à cette époque. Sauf au niveau de ses yeux. Ce fut pour cela qu’il afficha un air sombre lorsque l’adulte passa ses doigts sur ses cicatrices. La fine poudre autour de son regard n’était pas la pour faire décoratif. Et cette zone était encore douloureuse. Ce qui l’empêchait parfois de mettre ses lentilles, dans les mauvais jours. Avec un effort, il dégagea son poignet gauche, celui qui était encore prisonnier, pour poser sa main devant son regard abîmé, chassant la main de son aîné. Mais il se doutait que l’autre comprendrait que la douleur physique qui résultait de ce geste n’était pas désirée.

Quelques secondes plus tard, ses doigts s’écartèrent et il se redressa, s’écartant avec violence de celui qui ne lui inspirait pas la moindre confiance. Le sale gamin alla ramasser ses lunettes, qu’il essuya dans sa manche avant de vérifier qu’elles étaient intactes puis les renfila. Visiblement, les sortilèges lancés par sa mère sur les verres étaient assez efficaces. Sans jeter le moindre regard à Carter, Rain marcha jusqu’au bureau et inscrivit quelque chose sur une feuille de papier.

‘Règle numéro un : Si vous me touchez encore, je ne viendrais plus jamais ici. Et je me plaindrais.’

Ce qui, au vu de la fortune et de l’influence de sa famille ne serait pas bien compliqué. Il tendit ensuite une plume, hors de question de laisser la grande perche utiliser son stylo, à l’autre, pour l’inviter à écrire une seconde règle de son choix. En tout cas, il commençait à être tard et Rain tenait absolument à retourner à son dortoir pour terminer un devoir. Sans compter qu’il fallait qu’il raconte à Souless à quel point le psy était un connard. Mais un type magnifique à la fois. Sans compter que ses baisers étaient plutôt… Disons que ce n’était pas un travail d’amateur.

Etrangement, l’idée d’être frappé, comme Aaron avait menacé qu’il allait le faire, ne lui avait rien fait. Pour ne pas dire que cela lui semblait presque amusant. Certes, il n’aimait pas qu’on le maltraite mais les coups lui semblaient insignifiants depuis la guerre. Comme si un bleu allait le faire pleurer. Alors il avait affiché un air provocateur, prouvant qu’il ne craignait rien ni personne. Ceci n’était pas qu’une apparence illusoire. Son absence de peur envers la douleur physique était parfaitement sincère. En ce qui concernait les sévices mentaux, la vérité était assez différente.

Si Aaron connaissait Madame Clound et son comportement limite bordeline et dangereux, il ne dirait pas au garçon d’aller pleurer chez sa mère. Le pourcentage de chance pour que la dite mère réduise le psychologue en morceaux avant de les servir à dîner étant un brin trop élevé. Un bon quatre-vingt pourcent, dirons-nous. Quand à Rainy, eh bien nous pouvons dire sans nous tromper que cela lui apprendra à moins provoquer les gens. Bien sûr, il restera toujours un sale gosse pénible mais le traumatisme causé par son aîné risque de le marquer un bon moment. Cela se lit d’ailleurs dans son regard, qui oscille entre haine pure et peur panique, alternant les deux au rythme des pensées meurtrières qui traversent son esprit. Ce n’est pas qu’il en veuille au psy. Non, pas du tout. A peine. Juste un brin. Totalement. Et pourtant, il ne se défend pas. Ce n’est pas que la peur le fige ou quoi que se soit, c’est juste son instinct de survie qui lui ordonne de se tenir tranquille pour une fois. Jusqu’à présent, il était sûr que l’autre n’oserait jamais rien lui faire. A cet instant, cependant, le doute avait totalement effacé sa confiance précédente.

Et pourtant. Même au bord du précipice de la terreur, Rain ne perdait pas ses réflexes. Ainsi ses dents s’enfoncèrent dans la chair avec force, sans qu’il n’hésite. Aggraver son cas n’était pas ce qu’il cherchait à faire. Juste se protéger. Effacer le reste. Le goût du liquide carmin entre ses lèvres le calmait toujours, sans qu’il ne soit le moins du monde lié à une famille vampirique. Sauf que son sang avait meilleur goût que celui des autres. Bref. Après un moment, ses mâchoires acceptèrent de relâcher un brin sa proie lui permettant de retirer sa langue. Mais, dans le regard du gamin, une solide barrière était apparue. Jamais plus il ne reviendrait ici. Trop de peur. Trop de haine. Cet homme… Le dégoûtait.

Le chemin emprunté par les actions de la journée semblait passer d’une sombre forêt à un champ de fleurs. Tout cela était incompréhensible. Le gamin, qui avait été un brin malmené, entendit les excuses sans les écouter. Peut-être que ce n’était pas lui qui avait besoin de s’asseoir sur un fauteuil pour raconter ses problèmes. Le psychologue semblant vraisemblablement avoir quelques légers troubles dans sa personnalité. Les gens normaux ne sont pas borderline. Enfin, la majorité en tout cas. Clound oscillait toujours entre peur et colère. L’action de plus tôt avait marqué son esprit et cela le rendait encore plus méfiant que d’habitude. Était-ce une ruse ? Tout cela ne faisait que le confirmer dans son choix de ne jamais faire d’études en psychologie. Ces dernières ayant un mauvais effet sur le cerveau humain, visiblement. Des mots dénués de sens. Voilà ce qu’étaient les excuses balancées par le professeur. Le garçon n’y prêta pas véritablement attention de toute manière. Son seul geste, au lieu d’être une fuite qui aurait été logique dans sa situation, fut de lever sa main gauche avant de la passer sur ses lèvres, pour essuyer le sang qui y avait coulé lorsqu’il avait mordu son aîné. Le goût métallique du liquide carmin brûlait sa gorge à présent. Plusieurs solutions s’offraient à sa personne. Un brusque accès de colère, une course effrénée qui malmènerait ses pauvres poumons. Ou encore, une crise de larmes.

Ça, jamais. Le prince des sales gosses possédait quelques rares règles dans son existence. Et, l’une de ces dernières était de ne jamais afficher de faiblesse. Cela n’avait rien à avoir avec sa famille, ses origines ou encore moins son éducation. C’était un point personnel. Et, monsieur y tenait. Ses dents mordirent le dos de la main posée contre ses lèvres. Juste assez pour que le sang reste prisonnier sous la chair tout en lui remettant les idées en place. Ce type détestable, Carter, était déboussolé. Tout en étant également un salaud de première qui n’avait pas la moindre once de respect pour sa vie et son besoin de garder les choses à l’intérieur de son esprit. Cependant, lui faire du mal n’aurait rien changé et l’autre semblait des plus doués pour s’infliger de la peine tout seul de toute manière. Les masochistes étant rares, il fallait en profiter. Lorsque ses dents laissèrent enfin sa chair meurtrie en paix, un soupir lui échappa. Pardonner, dire que ce n’était rien… Non, ce n’était pas ainsi que Rain comptait agir.

Son corps s’avança de lui-même, esquivant l’adulte. Une distance de sécurité se devait d’être respectée pour l’instant. Ceci pour éviter une quelconque réaction violente ou totalement terrifiée qui pourrait lui échapper par mégarde s’il était trop près. Bon, le bureau. Trop de paperasse qu’il fit tomber en silence. Pourtant, cette fois-ci, ses gestes n’avaient rien de colérique. Son but n’était pas de s’attirer les foudres de l’autre mais de lui transmettre un message. Pousser les gens à lui faire du mal était un art dans lequel le Nasteen aurait apprécié être moins doué à certains moments. Quoique, parfois, c’était agréable. Bref, ce n’était pas le moment de faire l’éloge du masochisme sous toutes ses formes. Où était ce fucking crayon ? Ah, là. En plein milieu du bureau. Logique. Le gamin prit une profonde inspiration. On se calme. On ne massacre rien. Et on laisse l’autre pleurnicher sur son sort parce que de toute façon, on le déteste. Parce qu’il est vieux, pervers et blond.

Malgré la marque de la dentition parfaite du garçon sur sa peau, sa main écrivait à une vitesse tout à fait normale. Les mots n’avaient aucun mal à se dessiner au milieu des sympathiques menaces de mort qui traversaient son esprit. Oh, il n’était pas question de pardon ou de quoi que ce soit. Juste de rétablir un peu l’équilibre des choses. Glissant du bureau avec aisance, le sale gosse alla se planter devant son aîné et lui mit le papier devant les yeux. Pas trop près non plus, histoire qu’il puisse voir.

Je n’ai pas besoin d’aide. Reprenez-vous, fucker. Cette séance doit durer une heure. Et même si je n’ai pas la moindre envie d’être ici, encore moins avec vous, notez que je vous déteste, nous allons la finir. Alors asseyez-vous à votre bureau.

Pour un gamin de treize ans et demi, monsieur savait ce qu’il voulait. Visiblement, c’était, à ce moment, de pouvoir se murer dans le silence tout en étant assis sur un fauteuil à écouter l’autre lui poser des questions emmerdantes envers lesquelles il n’aurait pas le moindre intérêt. Cela n’était qu’un acte irréfléchi par lequel il admettait avoir, peut-être, été trop loin dans la provocation. Même si, au final, Rain Clound restait un sale gosse égocentrique qui n’avait pas la moindre affection pour le corps médical. Cela fut prouvé lorsqu’il shoota dans les papiers éparpillés sur le sol avant de s’asseoir en tailleur sur un forum, son regard fixé dans celui de son aîné. Bon, l’autre allait se dépêcher oui ou non ?