Pause détente {Kasey & Ethan}

La journée tirait à sa fin. Elle n’avait en rien vraiment ressemblé aux autres. Elle avait débuté de manière surprenante, très tôt, avec un réveil difficile. Il était rare qu’Ethan McLorgan ait des difficultés à se lever de son lit douillet, tout chaud encore. Habitué à une rigueur exemplaire, dès que sa pendule commençait à hululer comme une furie aux alentours de 6h30, ses yeux noirs s’ouvraient, saisissant d’une main ses lunettes sans lesquelles il ne distinguait rien de net, et de l’autre sa baguette dont il se servait pour jeter un sort et faire cesser l’alarme matinale. Il se levait alors avec aisance, abandonnant le confort de son lit sans aucun regret, et allait prendre une douche qui ne durait généralement pas plus de neuf minutes trente-cinq secondes. Après ça, il se séchait à l’aide de sa baguette, et s’habillait, usant d’un accio maitrisé; sa cravate se nouant d’elle-même autour du col de sa chemise qui se boutonnait comme manipulée par une main invisible. Sa propre main droite lui servait à porter sa tasse de café à ses fines lèvres. Ses cheveux se séchaient d’eux-mêmes également tandis que la boucle de sa ceinture se fermait au deuxième trou. À 6h47min23secondes, il était fin prêt à s’asseoir devant son bureau et reprendre son travail là où il l’avait laissé la veille au soir. Ainsi se déroulait chaque début de journée, sans jamais aucune modification, aucun imprévu qu’il ne saurait anticiper. Ethan ne laissait généralement pas place aux surprises, ni au désordre ; chaque minute de sa vie était programmée et devait se dérouler tel qu’il l’avait organisée. Parfois cependant, il lui arrivait d’être pris de court, ayant mal appréhendé un évènement. Dans ce cas-là, il se sentait alors trompé par lui-même et imaginait tout un tas de stratagèmes pour que cela n’arrive plus jamais. Il apprenait ainsi de ses erreurs d’étourderies car tout était bon à prendre pour renforcer sa sagesse et tendre vers une perfection qu’un jour il atteindrait. Perfectionniste du dernier détail, jamais rien ne lui faisait défaut, et le temps lui-même semblait se courber à sa discipline.

C’est ainsi que la matinée était censé commencer. Je dis bien censé, puisqu’il en fut autrement ce jour-là. À 7h53 sa pendule se mit à pousser son cri soudainement atroce aux oreilles du professeur. Cherchant à tâtons ses lunettes d’une main, et saisissant sa baguette de l’autre, il jeta un premier sort au hasard qui brisa un vase importé de Chine, un deuxième qui transforma un chandelier en rat et un troisième enfin qui mit le feu à la fameuse pendule qui hulula pour la dernière fois dans un bruit macabre. Là, et seulement une fois le carnage terminé, ses doigts fins touchèrent ses lunettes qu’il empoigna et mit sur son nez. Découvrant l’étendue des dégâts, il poussa un grognement digne d’un troll des cavernes embêté durant sa nuit par un animal nocturne qui se serait aventuré par les interstices de ses vêtements. Posant sa main dans sa tignasse sombre, il l’ébouriffa, songeant qu’il devrait sans doute penser à la couper. Assis au milieu de son lit, il lança un réparo sur l’horloge qui reprit sa forme initiale et s’aperçut enfin de l’heure tardive qu’il était, maudissant sa traitresse de pendule qui avait finalement bien méritée son sort précédent… qu’il ne tarda pas à reproduire, accablé. Il se leva avec difficulté, se trainant jusque sous la douche, froide pendant les deux premières minutes. Elle dura trente minutes sans qu’il ne pût s’en rendre compte et en sorti sans se sentir plus réveillé qu’avant. Quelques coups de baguettes magiques, et il contempla dans son miroir, l’image d’un homme fatigué, aux yeux cernés, les cheveux en pagaille, une chaussette en guise de cravate, celle-ci nouée autour de sa taille, et deux chaussettes de deux paires différentes aux pieds. Exaspéré par le désastre vestimentaire qui osait se refléter dans le miroir, il se demanda pourquoi celui-ci ne s’était pas brisé sous le choc. Pour se remettre de ces atrocités matinales, il porta sa tasse de café à ses lèvres et observa la catastrophe suivante : la tasse n’était remplie que de café en poudre qui se répandit dans sa bouche et sur la totalité de ses vêtements. Crachant et pestant contre cette satanée journée, il trébucha dans des livres qui s’étaient probablement trouvés par terre lorsque la pendule avait explosée, et en deux secondes, il était étendu sur le sol, dans un état pitoyable qu’il n’avait jamais connu auparavant.

Une fois relevé et physiquement présentable par un coup de baguette qui aurait pu se trouver bien plus risqué, il quitta son bureau pour se rendre dans son cachot et dispenser son cours aux troisièmes années. Durant deux heures qui lui semblèrent interminables, il fit dix-sept reproches au même élève, cinq à deux autres, nettoya les dégâts qu’avait engendrée l’explosion de trois chaudrons, envoya deux élèves à l’infirmerie après avoir vu leur visage génétiquement modifié dû à un mauvais dosage dans les ingrédients, il félicita un élève pour sa mixture passablement réussite, enleva dix points à deux élèves, brisa une fiole dont le contenu se répandit sur le sol entrainant l’apparition d’une brume épaisse dans tout le cachot dont il fallut en attendre la complète dissipation et enfin, une fois la fin du cours, claqua la porte en maugréant aux élèves de ne plus jamais revenir. Il s’assit sur la chaise de son bureau qui céda sous son poids, et en conclut qu’un esprit frappeur devait probablement se jouer de lui aujourd’hui. Il se releva pour ce qui lui sembla comme étant la énième fois en à peine trois heures, et pris de colère, fit exploser cinq chaudrons, son bureau, mis le feu à huit tables, transforma deux armoires en cendrier et puis fit apparaître un paquet de cigarette et fuma en sa toute première, comme ça, sous l’impulsion. Il toussa pendant deux minutes à la première bouffée puis s’habitua petit à petit. La première cigarette consumée, il en alluma une seconde, puis une troisième, considérant le chaos qui régnait autour de lui. Il en aurait presque oublié qu’il avait un cours a donné dans un quart d’heure si le faillot de la classe suivante ne s’était pas présenté devant la porte, l’ouvrant (il ne s’attendait visiblement pas à y trouver son professeur) et pendant un longue minute, posant son regard tout à tour sur le cachot et sur Ethan, la bouche grande ouverte, les yeux ébahis. Ethan, qui était bien loin aujourd’hui de pouvoir anticiper quoique ce soit, leva les yeux aux plafonds, comme suppliant que quelqu’un vienne achever cette journée dans la seconde à venir. Se ressaisissant, il s’adressa à l’élève :

« Vous n’en avez donc pas assez d’arriver avant l’heure ?? Je pourrais vous faire disparaître pour que jamais vous ne répétiez ce que vous avez vu. Vous avez dix minutes pour me nettoyer la pièce. Et si à mon retour le cachot n’a pas retrouvé son apparence originelle, vous serez de corvée de récurage des chaudrons… la prochaine fois, soyez à l’heure ! »

Et il sortit, laissant là le pauvre sorcier apeuré. Il revint après vingt minutes, en retard de cinq, ce qui ne s’était jamais vu avant dans les cachots.
La journée se poursuivit de la sorte, enchaînant les catastrophes implanifiables et l’ébahissement de ses élèves. Son humeur massacrante en fit pleurer plusieurs, certains furent obligés de quitter la classe, feignant des maux de tête aigus.

Enfin la journée tira à sa fin. Ethan avait passé les deux dernières heures à la bibliothèque entouré de piles de livres dont il ne lirait sans doute qu’un quart seulement, décidément ralenti aujourd’hui. Par les fenêtres, on voyait que le jour avait disparu depuis longtemps déjà, la nuit était sombre, la lune invisible, et le silence imperturbable. Les élèves semblaient avoir tous quittés la pièce, il était seul, seul avec ces piles de bouquins, au calme. Il posa ses lunettes sur la table, frotta ses yeux noirs fatigués, et passant les mains dans ses cheveux, il se remémora les évènements de la journée en esquissant un sourire d’amusement. Au fond, c’était assez marrant cette soudaine bêtise. Il se prit à rire, ce qui ne lui était pas arrivé depuis longtemps, puis, surpris par un bruit étranger qui indiquait qu’il n’était finalement pas seul, effaça cette nouvelle expression de son visage, révélatrice de distraction, et replaça ses lunettes sur son nez, reprenant cet air sérieux et maîtrisé que tout le monde lui connaissait.

« Ethan ! Encore en train de travailler ? Je pensais pourtant être seul ici, mais apparemment, j’avais tort. »

« Tu sembles épuisé. Dure journée ? »

« Ethan ! Encore en train de travailler ? Je pensais pourtant être seul ici, mais apparemment, j’avais tort. »

La voix était venue de derrière lui et Ethan, même s’il s’était attendu à rencontrer quelqu’un, n’avait aucunement songé à regarder dans cette direction. Surpris, il sursauta légèrement, suffisamment discrètement pour que son interlocuteur ne s’en soit pas rendu compte (selon lui, du moins). Il passa ses longs doigts fins sous ses lunettes et se frotta les yeux, comme pour se débarrasser de ce voile qui l’empêchait de bien distinguait à qui il avait à faire. Sa vue devint plus net, et en quelques secondes, il découvrit que Kasey Fletcher, le bibliothécaire se tenait à ses côtés. C’était assez surprenant de le voir lui adresser la parole, comme ça, de son plein grès. Non pas que Kasey semblait être le genre de garçon à prendre ses distances et à toiser tout le monde, bien au contraire, mais les deux collègues ne s’étaient jamais vraiment parlés, n’avaient jamais eu de réelle conversation. Bon, en soit, ce début n’avait rien d’une discussion passionnée, et animée par une volonté de débattre sur un sujet quelconque ; et finalement, était-ce aussi étrange qu’il vienne le saluer, le soir, dans sa propre bibliothèque, exerçant son métier ? Ethan remit ses idées en place, ébouriffant sa tignasse noire pour la énième fois aujourd’hui, ayant abandonné toute volonté de bien paraître. Alors, certes, leur rencontre n’avait au final rien de bien extraordinaire « tiens ? Kasey, vous ici ? Dans votre bibliothèque ?? Quelle indécence !?! », non, rien de cela ; mais il n’était tout de même pas anodin de noter que le bibliothécaire venait de s’adresser à lui de manière aussi singulière. Si ça avait été un élève, ou un passant dans la rue, Ethan aurait sans doute trouvé quelques piques tranchantes à renvoyer pour montrer qu’après tout, ils n’avaient certainement pas élevé les dragons ensembles et qu’une telle familiarité de ne se voyait que rarement entre inconnus. Mais avec Kasey, les choses semblaient différentes. Ethan ne pouvait s’empêcher de ressentir à propos du garçon, une sorte d’admiration pour son savoir-vivre, sa simplicité, la légèreté avec laquelle il semblait, non pas recevoir la vie, mais la cueillir plutôt, doucement, naturellement. Chez le professeur de potions, il lui semblait que toute son existence n’était qu’une continuelle bataille pour le prestige, aller toujours plus haut, plus loin, pour quelques récompenses qui au final faisaient d’Ethan, un sorcier plutôt solitaire malgré lui, et qui ne pouvait s’empêcher de montrer son sens de la discipline car après tout, c’était sans doute bien la seule et unique chose dans laquelle il excellait (sans mentionner les potions, évidemment). Sans doute était-ce leur même âge qui poussa Kasey à lui parler ainsi, et Ethan, après cette rude journée, ne sembla pas vouloir s’en plaindre.

« Ah Kasey, c’est vous. À vrai dire, je me croyais bêtement seul. Ridicule n’est-ce pas ? »

C’était assez divertissant d’avoir quelqu’un à qui parler ce soir, dans le silence de la bibliothèque. Dans l’après-midi, il aurait détesté être interrompu, surtout si ça avait été par le vacarme incessant des élèves trop dissipés pour apprécier l’atmosphère d’un temple comme celui-ci ; peut-être était-ce aussi parce qu’il n’avait plus leur âge, et qu’en tant que jeune adulte, ses goûts et les petits plaisirs de la vie avaient mué de cette sorte. Ce soir, il appréciait, c’était… changeant.

« Tu sembles épuisé. Dure journée ? »

« tu », Kasey venait de le tutoyer. Décidément, cette journée serait bel et bien emplie de surprises jusqu’à sa fin. Non pas que ça le dérangea, Ethan essaya simplement de se souvenir de la dernière fois où un adulte l’avait tutoyé de la sorte sans prendre garde à garder ses distances, à respecter des règles de civilités, aussi facilement. « tu », ce petit mot résonnait à son oreille, comme un nouveau petit mot doux qu’on lui aurait susurrer amoureusement. « tu » rien que ça, c’était… changeant.
Il retira ses lunettes, sachant très bien qu’il ne pourrait plus rien discerner après ça et se permit même ne touche d’humour qu’il ne se connaissait pas :

« tu permets que j’enlève mes yeux deux minutes. »

C’était bête, c’était simple aujourd’hui, ça aurait été un réel effort la veille ou le lendemain. Non, là c’était tellement facile de se laisser aller, dans cette intimité qu’offrait l’immense bibliothèque de Swetly. Il se prit à rire, un petit rire sans doute encore un peu trop timide, mais il rît, ça aussi c’était… changeant.

« La journée a été longue pour être franc. Je dirais même éprouvante. Et vo… toi ? Comment se passe ton travail ? Dans mon école, je me souviens que l’on prêtait généralement peu d’attention à la bibliothécaire, Madame… madame Dusty je crois. J’imagine que ça doit être pareil pour toi, non ? »

Ce nouvel élan de sympathie, accepter de se confier sur un sujet anodin, oser le tutoyer à son tour, l’interroger sur son métier ; Ethan avait presque oublié ce que c’était de s’intéresser aux autres pour autre chose que leurs capacités, leurs sens du travail, leur avis sur telle ou telle potion, quel ingrédient plutôt qu’un autre. Et tandis qu’il se répétait ses propres mots dans sa tête, il ne put s’empêcher de se rendre compte qu’au final, s’il avait pu se projeter hors de son corps et s’observer ne serait-ce que le temps d’une journée, alors il aurait éprouvé de la peine pour l’homme qu’il aurait vu. Il passa son visage dans ses mains, comme un signe de fatigue, pour cacher l’éventuelle déception qui aurait pu s’afficher sur son visage fatigué. Il n’avait pas réellement envie de s’apitoyer sur son sort dont il avait été le seul maître durant toute sa vie, il était le seul responsable de celui qu’il était à présent, et sans doute ne produirait-il pas l’effort considérable au changement.

Il remit ses lunettes sur son nez, recouvrant ainsi la vue (le semblant de blague qu’il n’avait pu s’empêcher de dire lui revint et le fit sourire à nouveau), et croisa les bras tout en s’appuyant contre le dossier de sa chaise. Kasey lui souriait encore, et d’un signe, sembla lui faire comprendre s’il pouvait le débarrasser des livres qu’il n’utiliserait plus maintenant. À vrai dire, ce soir il ne serait plus capable de lire quoique ce soit, ses neurones semblaient être en bouillie dans son cerveau, et ses yeux le brûlaient. Il fit un signe à son tour pour inviter le bibliothécaire à faire disparaître les bouquins, et se souvenant que celui-ci avait cette étrange habitude moldue de ranger les ouvrages à la main, il se leva :

« Je… je ne crois pas avoir déjà rangé un livre sans la magie, ou du moins, pas dans une bibliothèque. Ça te dérangerait de me montrer ? »

La question paressait stupide, ça n’avait rien de bien compliqué de prendre un livre dans sa main et le poser à son emplacement approprié. Et en même temps, peut-être Kasey n’avait-il pas envie de confier la tâche à quelqu’un d’autre, de peur que le travail soit mal fait et que la pagaille s’installe. Se découvrant une inhabituelle gêne, il baissa la tête, les mèches de ses cheveux venant cacher une partie de son visage.
Ça aussi c’était… changeant.

« Tu permets que j’enlève mes yeux deux minutes. »

« La journée a été longue pour être franc. Je dirais même éprouvante. Et vo… toi ? Comment se passe ton travail ? Dans mon école, je me souviens que l’on prêtait généralement peu d’attention à la bibliothécaire, Madame… madame Dusty je crois. J’imagine que ça doit être pareil pour toi, non ? »

« Tu sais, ce n’est pas très difficile de tenir une bibliothèque dans une école. Mine de rien, les élèves sont assez respectueux du lieu et des ouvrages, dans l’ensemble. Ceux qui ne sont pas intéressés ne se forcent pas à venir. »

« Me prêter de l’attention ? La question n’est pas là. Je rends juste service, en cas de besoin d’informations ou d’aide pour trouver un livre. Je ne suis pas comme toi, qui a un lien direct avec les étudiants. Et je ne suis pas non plus là pour faire du copinage. Je fais mon travail, c’est tout. Et comme j’ai toujours été entouré de nombreux livres et aimé lire, ça ne me dérange pas de ne pas faire du social. »

« Mais je reconnais que quelques accidents ou bavardages m’amusent. Cela aiguaie mon train-train quotidien ! »

« Je… je ne crois pas avoir déjà rangé un livre sans la magie, ou du moins, pas dans une bibliothèque. Ça te dérangerait de me montrer ? »

« Ne sois pas gêné ! En tant que sorcier, il est clair que la magie fait partie du quotidien. Pourtant, j’ai passé la plupart de mon temps à vivre comme un moldu, alors j’ai gardé de vieilles habitudes. J’ai décidé d’utiliser la magie que lorsque j’en avais réellement besoin ; il y a un tas de choses que l’on peut faire par soi-même et qui ne sont pas bien compliquées ! »

« Je pense que tu peux comprendre ça Ethan, non ? Je suppose qu’en tant que professeur, tu ne fais pas de potions sans intérêt, juste pour t’amuser. Gaspiller des outils de travail comme tes ingrédients ne semble pas être dans tes habitudes. »

« Je vais m’occuper de ceux-là. Les tiens vont au rayon d’histoire des Potions. Je suppose que tu connais l’endroit aussi bien que moi ! Il te suffit de les remettre par thème pour par auteur. Si jamais tu as un souci, n’hésite pas à user de ta baguette. »

Kasey se mit à rire. Au fond, ça n’avait rien de très étonnant et il s’y était attendu. Ranger manuellement un livre n’avais sans aucun doute rien de bien difficile, et puis ça n’avait également rien d’excitant non plus. Et pourtant, là, maintenant, Ethan avait cette envie de découverte. Qu’est-ce qu’après tout de vivre à la manière d’un moldu ? C’était quelque chose d’inconcevable pour lui, il avait toujours été baigné dans la magie, elle faisait partie intégrante de lui.
Kasey riait, Ethan se sentait bête. Un peu comme un enfant qui prétend ne pas savoir ce qu’est un balais volant ; ça non plus ça n’aurait pas eu de sens et aurait mérité des moqueries, des éclats de rire. Et puis, à bien regarder le jeune bibliothécaire rire, il ne s’agissait peut-être que de l’expression de son étonnement. Après tout, il n’était sans doute pas courant d’entendre un professeur lui demander de lui montrer comment ranger un livre sans magie.
Kasey prit une pile de livres et fit un clin d’œil comme pour signifier : « je prends ceux-là, tu prends les autres ». Ethan s’exécuta.

« Ne sois pas gêné ! En tant que sorcier, il est clair que la magie fait partie du quotidien. Pourtant, j’ai passé la plupart de mon temps à vivre comme un moldu, alors j’ai gardé de vieilles habitudes. J’ai décidé d’utiliser la magie que lorsque j’en avais réellement besoin ; il y a un tas de choses que l’on peut faire par soi-même et qui ne sont pas bien compliquées ! »

Vivre comme un moldu… c’était assez, étrange pour un sorcier, non ? Pourquoi se priver de la magie alors qu’elle permet de faire tellement de choses, de gagner tellement de temps ? L’idée même de ne pas utiliser volontairement sa baguette avait quelque chose de… de fou. Ou alors de peu commun. Sans doute était-ce plus cela. Ethan n’osa pas demander ce qui l’avait amené à moins faire usage de la magie. Peut-être avait-il eu de sérieux problèmes durant son enfance, peut-être n’aimait-il pas vraiment ça ; serait-il possible qu’un sorcier n’aime pas la magie ? Ne serait-ce pas alors défier sa propre nature, la rejeter, l’ignorer ? Mettant de côté ses questions, Ethan ne chercha pas à se renseigner sur l’origine de cette décision. Kasey pouvait sans doute avoir toutes les raisons valables du monde, peu en importait au professeur de potions ; les réponses viendraient d’elles-mêmes si elles devaient venir, sinon, il resterait à supposer sans juger. Ethan pensait que chacun avait sa propre histoire mais qu’elle ne permettait pas de juger l’homme d’aujourd’hui par ses actes d’hier. Il y avait tellement de sorciers sur terre qui avaient pu faire telle ou telle chose, bonne ou mauvaise, et qui du tout au tout, un jour avaient décidé de changer et de faire table rase du passé. Ethan lui-même était un peu comme ça à y penser. Il avait eu une enfance correcte, sans problèmes, seule l’absence de son père et la tristesse de sa mère auraient pu l’affecter et pourtant, enfant, Ethan était un sorcier très joyeux, heureux de vivre et croquant la vie à pleines dents. Et puis un jour, un jour dont l’origine restait inconnue, il changea et se rangea dans un monde de rigueur, de sérieux, rangeant ses grands sourires enfantins au placard et n’affichant plus qu’un air sévère et un regard froid. Le bibliothécaire avait certainement sa propre histoire qu’Ethan ne se sentait pas de droit de violer par de quelconques questions guidées par la curiosité. Et de toute façon, Ethan n’était jamais curieux, il était juste avide de connaissance, rien d’autre.
Sauf cette fois-ci bien sûr, où par cette journée hors du commun il se prenait de curiosité pour un simple geste : ranger un livre manuellement.

« Je pense que tu peux comprendre ça Ethan, non ? Je suppose qu’en tant que professeur, tu ne fais pas de potions sans intérêt, juste pour t’amuser. Gaspiller des outils de travail comme tes ingrédients ne semble pas être dans tes habitudes. »

Ethan ne dit rien. Il se contenta d’acquiescer d’un signe de tête, de se lever et de suivre son collègue à travers la bibliothèque, sa pile de livres dans les bras. Il apparut à Ethan que Kasey devait sans doute faire bien plus de ses journées que de lire, de ranger des bouquins ou encore de conseiller les élèves égarés dans leurs recherches ; Kasey devait sans doute être un observateur. Poser son regard sur le monde est en tirer des conclusions, des idées, c’était beau, c’était louable. À observer les gens, le bibliothécaire avait sans doute acquis la compétence de deviner leur personnalité plus rapidement que quiconque. Oui, c’était louable de s’intéresser à la vie des autres, sans même poser de questions, juste en les regardant dans leur quotidien, dans leurs mouvements, leurs émotions que trahissent leurs mimiques. Ethan ne savait pas faire ça, il n’en avait jamais pris le temps. Il n’observait rien d’autre que ce qui se voyait ; le reste n’était que fantasmes pour lui, propre à la rêverie : loin de ce qu’il s’accordait à lui-même.
Perdu dans sa propre réflexion, Ethan n’avait pas vraiment prêté attention aux rayons de livres vers lesquels tous deux se dirigeaient. Ce n’est que lorsque Kasey se retourna qu’il prit conscience que la pratique allait commencer.

« Je vais m’occuper de ceux-là. Les tiens vont au rayon d’histoire des Potions. Je suppose que tu connais l’endroit aussi bien que moi ! Il te suffit de les remettre par thème pour par auteur. Si jamais tu as un souci, n’hésite pas à user de ta baguette. »

Ethan lu la couverture du premier livre au-dessus de sa pile : Helena Chauspoil, Potions et Méthodes, volume 2 aux éditions TrollVert. Sur le côté, une étiquette : CHA Me35 ;1. Il regarda le rayon devant lequel il se trouvait. Les livres semblaient s’y étendre par centaines, de ABA E78 à ZOP H21. La tentation de se servir de sa baguette le démangeait, même s’il semblait être un exercice plutôt facile vu de l’extérieur, il n’en était rien au final et se perdre parmi toute cette montagne d’ouvrages n’épargnerait personne si ce n’est un bibliothécaire bien sûr. Ethan se retourna pour voir où en était son collègue, déjà sur le point de finir sa propre pile de livres. Magie, pas magie ? La question était assez difficile. CHA, c’était sans doute le début du nom de l’auteur. Le professeur scruta les rangées de livres qui s’étendaient devant lui jusqu’à trouver la lettre C. Puis de fil en aiguille, Il trouva l’emplacement réservé aux ouvrages de Chauspoil, avec la lettre M désignant sans doute « Méthodes », 17, 26, 32, 34, 36 ! Le bouquin se placerait sans ici, entre le 34 et le 36 (logique se dit-il). Et puis avec dépit, il se rendit compte que la nature l’avait fait… trop petit. Petit, lui, quelle taille faisait-il après tout ? Il jeta un nouveau regard sur Kasey avant de se rendre compte que celui-ci l’observait. Il détourna la tête; non, il n’utiliserait pas la magie. Du moins pas pour le premier livre. Sans prendre garde à l’escabeau qui se trouvait à deux pas de lui, il se tint sur la pointe des pieds, tentant de placer l’ouvrage à son lieu d’origine. Il se tendit, tendit, essayant de se faire le plus grand possible, si bien que l’épais ouvrage lui échappa des mains et dans un bruit sourd, vint s’écraser sur son visage pour marquer ce qui fut : un échec cuisant… et douloureux.

« Raaaah Merlin ! »

Se frottant la tête, et se mordillant la lèvre supérieure comme un enfant qui apprend de ses erreurs, il rassembla la pile de livres, reprit la Méthode d’Helena Chauspoil, rapprocha l’escabeau et finit par remettre l’ouvrage à sa place initiale. Fier de lui, il tourna la tête, affichant ce même sourire enfantin que lorsqu’il cherchait à s’attirer la fierté de sa mère, sourit à Kasey. Puis, d’un mouvement léger de sa baguette, rangea tous les autres en moins d’une minute.

« On a chacun notre rôle après tout. Moi je consulte. Mais c’était… marrant. Douloureux, mais marrant. »

Il souriait encore. Chez Ethan, un sourire n’avait rien de l’expression d’un adulte et n’importe qui aurait pu se rendre compte qu’au fond de cet homme sévère dormait encore un enfant qui ne demandait qu’à ce que l’on soit fier de lui. Se rendant compte du caractère peu naturel de sa réaction, il baissa la tête, affichant à nouveau la tête que les élèves ne lui connaissaient que trop bien.

« On a chacun notre rôle après tout. Moi je consulte. Mais c’était… marrant. Douloureux, mais marrant. »

« Merci de ton aide, Ethan. »

« Je t’offre un verre pour ton aide et comme compensation de la rude journée que tu as affronté ! »

« Whisky ? Ah, si tu veux une cigarette aussi, sers-toi. »

Ethan se sentait quelque peu idiot d’apprécier un moment comme celui-ci, si simple, si anodin. Il se sentait stupide d’apprécier n’importe quel instant d’ailleurs. Pendant un peu plus de dix ans, les rares moments qui avaient animés son cœur s’étaient toujours trouvés liés d’une manière ou d’une autre à sa réussite professionnelle. Sa performance dans les potions avaient été son seul intérêt, et son seul succès d’ailleurs. Le professeur de potions ne se souvenait pas d’avoir accompli quoique ce soit d’autre dans sa vie si ce n’est ses études, la publication de son ouvrage sur les potions de mort, et son installation à Swelty. Tout le reste avait toujours paru… secondaire. Ses relations sociales ne s’étaient développées que par des conférences auxquelles il participait, des dîners auxquels il détestait se rendre, le respect qu’on lui accordait lui avait permis de se former un petit panel de relations haut placées. Par moment, il s’était laissé prendre au piège avec certains confrères qui apprirent à le connaître et à dissocier ses deux caractères. De là à dire qu’il avait des amis, c’était sans doute exagéré.
Perdu dans ses pensées, la main que posa Kasey dans sa tignasse brune le surprit. Il lui ébouriffa les cheveux, un peu comme l’aurait fait un adulte avec un enfant, lui montrant son amusement ou ses félicitations pour l’effort produit.
Ethan sursauta légèrement, il ne s’y était pas attendu. Se sentir rabaisser comme au stade d’apprenti le choquait quelque peu, c’est vrai. Éminent professeur en potions, on n’aurait jamais dû le traiter ainsi. Il se sentit un peu agacé l’espace d’une seconde et puis :

« Merci de ton aide, Ethan. »

C’était tout. Il n’y avait aucune raison de se sentir diminué, mais ça Ethan n’en avait pas l’habitude. Jamais personne ne s’était montré vraiment tactile avec lui, par peur de se retrouver foudroyé ou épinglé aux murs du cachot. Mais Kasey, lui, n’avait pas semblé hésiter une seule minute. Il se souvint alors que son mentor Joan Speeley agissait de même de temps en temps et si ça l’agaçait, il devait avouer qu’au fond de lui, il aimait ça, ces petits contacts. Depuis le décès de Joan, Ethan n’avait pas eu ce genre de relation avec qui que ce soit. Sauf peut-être avec le professeur de sortilèges et enchantements, mais cette histoire semblait bien différente ; Ethan ne pouvait s’empêcher d’être maladroit en sa présence et se prenait même à le trouver étrangement beau. C’était déconcertant.
Le petit geste de Kasey, après avoir ravivé plusieurs souvenirs lointains, trouva un tout autre sens, bien plus sympathique et chaleureux, et relevant la tête, il regarda son compagnon de soirée et lui sourît.
Kasey se remit en mouvement vers son bureau, et ouvrit la porte qui se trouvait derrière. Le professeur se dirigea timidement vers la pièce qui lui était inconnue : ne salle assez singulière, de taille moyenne, avec quelques meubles moldus, une table en verre et deux canapés et un fauteuil. C’était sans doute une salle de repos pour le bibliothécaire qui venait ici de temps en temps, s’accordant une petite pause-café, ou cigarette – se dit-il en voyant le garçon en prendre un paquet. C’était du moins ce que pensa Ethan, toujours debout dans l’entrebâillement de la porte, il n’osa pas entrer, ne sachant pas s’il y était invité ou non. Après tout, peut-être était-ce une partie qui ne lui était réservé qu’à lui en tant que bibliothécaire.
Il scrutait les moindres mouvements de son camarade qui avait posé deux verres sur la table et faisait à présent léviter une bouteille d’un liquide ambré tout droit vers lui. Concluant que Kasey l’invitait à entrer par un signe de tête, Ethan s’exécuta et fit quelques pas à l’intérieur, avec toujours une petite réserve cependant.

« Je t’offre un verre pour ton aide et comme compensation de la rude journée que tu as affronté ! »

Un verre ? Mais que ferait-il d’un verre ?? Qu’il était bête et l’esprit égaré aujourd’hui cet Ethan. Secouant la tête comme pour reprendre ses idées, il acquiesçât d’un signe de tête. A y penser, ce verre serait le bienvenu ; la journée avait été rude et épuisante ; il espérait ne jamais avoir à revivre quelque chose de semblable et de toujours garder la maîtrise de lui-même. Et pour sceller ce nouvel accord avec lui-même, une petite collation ne serait certainement pas de refus. La porte derrière lui se referma d’elle-même. On se serait cru dans un de ses livres pour sorciers adolescents dans lesquels les victimes de quelconques créatures se retrouvaient toujours enfermées dans leur antre pour ne jamais en ressortir… vivant. L’image de Kasey le ligotant et le malmenant lui traversa la tête. C’était fou, c’était stupide, et la honte montant en lui, il eut quelques bouffées de chaleur qu’il savait seraient accompagnées de rougeur sur ses joues. Rougir, il ne le pouvait qu’en de très rares occasions. Durant celles-ci, il ne parvenait à ne plus rien cacher, son visage devenait aussi opaque qu’une vitre neuve.
Il suivit alors l’exemple du bibliothécaire, assis dans l’un des canapés.
Après quelques gestes préparatoires marqués d’une éventuelle fatigue, Kasey lui proposa un verre :

« Whisky ? Ah, si tu veux une cigarette aussi, sers-toi. »

« Juste un doigt, merci »

Il avait rarement bu d’alcool dans sa vie. Lors des soirées mondaines et des dîners auxquels il avait été convié avant, il n’avait que très rarement fini sa flûte de champagne et finissait par la reposer sur l’un des plateaux qui lévitaient dans la salle. Mais aujourd’hui était une journée spéciale ; il était littéralement exténué par la torture qu’avait été ce cauchemar. Il emprunta également une cigarette à son hôte. N’étant que la quatrième qu’il ait fumé de toute sa vie il espérait que ne viendrait pas avec, une interminable quinte de toux. Portant la cigarette qu’il avait allumée avec sa baguette à sa bouche, il en tira une première bouffée. C’était intéressant le bien que ça pouvait lui procurer, même s’il savait qu’il ne deviendrait pas un de ces inconditionnels du tabac. Et puis, comme il l’avait envisagé, il se mit à tousser sans ne plus pouvoir s’arrêter. C’était fichu, il aurait l’air d’un imbécile, là, devant Kasey qui fumait depuis plus longtemps que lui, et qui par conséquent était habitué. Il toussa tellement fort que des larmes lui vinrent aux yeux. Une fois remis, il ne put que s’expliquer :

« J’ai commencé aujourd’hui ; désolé. »

Et saisissant le verre de Whisky que venait de lui tendre son ami, il le porta à ses lèvres et en avala une gorgée. Il ne put s’empêcher de faire une grimace en premier temps, puis de tousser à nouveau, sa gorge comme embrasée par le liquide. C’était bien plus fort que le champagne. Il devait être rouge et de honte et de suffocation.

« …hum… ça aussi c’est tout nouveau… mais… ça dégage ! Whoo ! »

Finalement ce n’était pas si mauvais. Il en porta une seconde gorgée à ses lèvres fines et cette fois-ci, ne toussa pas. Il espérait que la soirée n’était qu’à son commencement, tandis que d’un geste léger de sa main, défit sa cravate et ouvrit les deux premiers boutons de sa chemise noire ; il sentait déjà le pouvoir du whisky s’infiltrer en lui et les premiers effets n’avaient pas tardé à se montrer.

« Juste un doigt, merci »

« J’ai commencé aujourd’hui ; désolé. »

« …hum… ça aussi c’est tout nouveau… mais… ça dégage ! Whoo ! »

« Décidément ! J’aurais peut-être mieux fait de te proposer une bière et des cacahuètes. Quoique… Tu aurais pu aussi t’étouffer avec les peanuts. »

« Alors Ethan, tu te plais à Swelty ? Le cercle des membres du personnel a été totalement renouvelé depuis la destruction de Malwen. Dans le fond, je crois que ce n’est pas plus mal. Cela m’aurait paru étrange, de me retrouver à travailler ici, avec mes anciens professeurs. »

Évidemment, Kasey n’avait pu s’empêcher de rire en constatant que non seulement Ethan faisait un bien piètre fumeur, mais également un terrible buveur. Dans une autre situation, le professeur de potions… déjà n’aurait jamais bu ni fumé, mais il n’aurait pas fait attention aux moqueries de son collègue, et se serait contenter de lui rabaisser son caquet. Et pourtant, là, il ne ressentit aucune envie de le remettre à sa place. Il se sentait un peu comme un gosse. De ça, il devina que c’était l’effet de la boisson, ça n’en faisait aucun doute. Cette nouvelle attitude ne le dérangeait pas plus que ça, elle lui apportait même une certaine fraicheur.

« Décidément ! J’aurais peut-être mieux fait de te proposer une bière et des cacahuètes. Quoique… Tu aurais pu aussi t’étouffer avec les peanuts. »

« Sans aucun doute ! Je suis allergique aux cacahuètes ».

Il l’avait dit avec tellement de sérieux qu’il craignait que Kasey se sente soudainement mal à l’aise. Il se connaissait suffisamment bien (quoique cette journée elle-même fût révélatrice d’un renouveau imprévu) pour savoir qu’il pouvait glacer une atmosphère par un simple regard, un mot de trop. Il aurait été dommage de tout briser alors qu’il se sentait bien.

Il attendit deux secondes, le temps de voir la réaction de son ami, et puis d’un rire enfantin, se mit à rire bruyamment. Ça lui faisait tellement de bien. C’était un peu comme si toutes ces années de travail et de rigueur venaient d’éclater en morceaux pour laisser place à un nouvel Ethan qu’il se surprenait à découvrir. Sans doute Kasey lui aussi en était étonné. Après tout, si l’on écoutait les dires des élèves et autres collègues, c’est vrai qu’Ethan ne pouvait que très rarement (pour ne pas dire pas du tout) passer pour une agréable personne.

« Ne t’inquiète pas, je plaisantais. Mais… il n’aurait pas été impossible en effet que je me sois étouffé avec, si l’on considère le déroulement de cette journée. Ça ne s’inscrirait que dans une suite logique. Je ne parle pas trop là ? J’ai l’impression de parler trop ! C’est… c’est bien la première fois, surtout pour débiter un tissus d’âneries comme celles-ci. Franchement, mais qu’est-ce qu’on en a à foutre de mon baratin sur une cacahuète… »

Oui… Ethan éprouvait sans doute quelques légères difficultés à tenir ses deux premières gorgées de whisky ce qui ne l’empêcha pas, imitant son ami, de vider également le restant de son verre d’un cul sec.

« Whoooo. Par Merlin !! J’ai l’impression que je pourrais cracher du feu ! »

On atteignait à peine le seuil de la stupidité, mais Ethan ne se souciait plus de rien. Il était… parti. Littéralement relaxé, dans cet ambiance qui invitait d’ailleurs à ne plus faire cas de quoique ce soit, mais plutôt à profiter de chaque moment, et de celui-ci en particulier.

D’un coup de baguette magique qu’il fit un peu plus brusque qu’il ne l’aurait voulu, il fit léviter la bouteille de whisky er reversa un peu de son contenu dans son verre.
Pourtant, bien qu’il ne fût plus d’humeur à se soucier des autres, il n’osa pas vraiment regarder Kasey, de peur de croiser son regard de surprise. Un homme n’avait-il pas le droit de déroger à la règle de temps en temps et de se laisser vivre ? La cigarette dans la main gauche, il la porta à ses lèvres. Une longue bouffée qui ne le fit pas tousser cette fois-ci. Il afficha un sourire de fierté.

« Alors Ethan, tu te plais à Swelty ? Le cercle des membres du personnel a été totalement renouvelé depuis la destruction de Malwen. Dans le fond, je crois que ce n’est pas plus mal. Cela m’aurait paru étrange, de me retrouver à travailler ici, avec mes anciens professeurs. »

Il vida entièrement son verre, d’une traite. La question était un peu… involontairement douloureuse. Il n’en avait jamais parlé, mais durant la guerre, l’ancien professeur de potions de Malwen, Joan Speeley, avait trouvé la mort. Certes il aurait été affecté s’il n’avait s’agit que d’un éminent maître des potions, mais Joan avait été bien plus que ça, il lui avait été son mentor. Il avait toujours tenté de prendre soin de lui. Et lorsqu’Ethan s’assoupissait sur ses travaux, le lendemain il se réveillait dans son lit douillet, signe que Joan l’avait porté jusqu’à son lit, l’avait déshabillé et bordé. En y réfléchissant, le défunt professeur s’était montré un peu comme un père. Un père dont l’amour aurait été déviant, certes. Beaucoup s’étaient amusés à dire que les deux hommes avaient eu une relation. Ça l’avait fait rire : lui avec un autre homme. C’était vraiment inconcevable. Mais il devait reconnaître que Joan, lui, bien plus aimant et sensible au monde extérieur, avait sans nul doute éprouvé quelque chose pour son apprenti qui ne le lui avait rendu qu’en sourires et efforts de réussites. À l’époque, Joan avait été le seul homme à pouvoir apprécier cette nature d’Ethan. De la même façon, seul lui pouvait reprendre le jeune homme pour lui faire comprendre qu’il était bien trop dur. À cette époque… il était encore vivant.

« Swelty est sympa. Plus accueillante que Vladivostok. Mais je n’ai jamais connu Malwen, ni son défunt directeur d’ailleurs. »

Il ne développa pas plus le sujet. Il tira à nouveau sur sa cigarette puis l’écrasa dans le cendrier. Il se sentait étouffé.
Alors le bibliothécaire d’un geste de la baguette ouvrit la fenêtre et une bouffée d’air frais vint le saisir de sa soudaine tourmente. Et passant sa main dans ses cheveux :

« Il n’est pas impossible…Kasey mon ami,.. que je sois lé-gère-ment égayé par ton whisky. »

Il sourît bêtement et frotta ses yeux sous ses lunettes.

« Et d’ailleurs, ça me rappelle une chanson qu’on chantait chez moi, là bas en Irlande, du temps de ma folle jeunesse insouciante où je sortais boire dans les pubs »

Il se leva, non sans difficultés. D’un coups de baguettes, fit apparaître des instruments qui commencèrent à jouer. Et d’une voix plutôt douce, il se mit à chanter en levant un troisième verre de whisky et retrouvant un vieil accent irlandais qu'il était sûr qu'on ne lui connaissait pas:

Whiskey in the Jar- The Dubliners

♫♪ As I was a goin' over the far famed Kerry mountains
I met with captain Farrell and his money he was counting
I first produced my pistol and I then produced my rapier
Saying "Stand and deliver" for he were a bold deceiver

Mush-a ring dum-a do dum-a da
Wack fall the daddy-o, wack fall the daddy-o
There's whiskey in the jar

I counted out his money and it made a pretty penny
I put it in me pocket and I took it home to Jenny
She sighed and she swore that she never would deceive me
But the devil take the women for they never can be easy

Mush-a ring dum-a do dum-a da
Wack fall the daddy-o, wack fall the daddy-o
There's whiskey in the jar...♪♫♪♫♪

« Et je devrais sans doute m’arrêter là. » dit-il en ~~s’asseyant~~ se vautrant dans le canapé,
rigolant comme une adolescent et vidant son verre.

Il avait retrouvé son enfance irlandaise, sa joie, son ancien goût des choses simples, et naturellement, comme il avait eu l’habitude de le faire bien avant, chez lui, il avait voulu entraîner son ami dans sa gaieté.

« Ne t’inquiète pas, je plaisantais. Mais… il n’aurait pas été impossible en effet que je me sois étouffé avec, si l’on considère le déroulement de cette journée. Ça ne s’inscrirait que dans une suite logique. Je ne parle pas trop là ? J’ai l’impression de parler trop ! C’est… c’est bien la première fois, surtout pour débiter un tissus d’âneries comme celles-ci. Franchement, mais qu’est-ce qu’on en a à foutre de mon baratin sur une cacahuète… »

« Il n’est pas impossible…Kasey mon ami,.. que je sois lé-gère-ment égayé par ton whisky. »

« Je ne te savais pas si bon chanteur ! Et quel accent ! »

« C’est plaisant de te voir si décontracté, Ethan. »

Ethan avait à peine fini sa chanson que déjà une grande chaleur semblait s’être emparée de lui. L’alcool y était certainement pour quelque chose, il n’avait pas l’habitude de boire et son comportement à l’instant venait de prouver qu’il n’était pas très résistant. Aussi, il se sentait un peu gêné de s’être autant lâché devant quelqu’un. Le ridicule ne le dérangeait pas tant qu’il n’y avait pas de témoins. Ce soir pourtant, Kasey avait assisté à ce petit spectacle improvisé et le professeur n’avait pas su se contrôler. La gêne certes était moins grande et lourde qu’elle ne l’aurait été dans d’autres circonstances, mais Ethan ne pouvait savoir vraiment si c’était parce que justement, c’était Kasey ou si c’était au contraire une affaire de whisky.

Kasey, le bibliothécaire, semblait bien au-delà des règles, loin de se soucier de ce que laissait paraître son image, son attitude ; Kasey était simplement cool. C’était ce que pensait Ethan, et ce soir-là, il était peut-être un peu jaloux de la vie de son ami. Il n’en connaissait pourtant rien, ils n’avaient rien partagé de plus qu’une cigarette et qu’un verre de whisky. En rien il n’aurait pu deviner l’enfance du jeune garçon, ni sa façon de penser, ses projets, ses rêves, ses désirs, ses peines, ses craintes ; non rien de tout ça ne transparaissait sur le visage du jeune homme. Cependant Ethan ne pouvait s’empêcher de penser que la vie d’un Kasey devait sans doute être bien plus simple que celle d’un abruti d’Ethan qui s’était enfermé dans un rôle qui parfois, lorsqu’il était seul dans son cachot, lui semblait bien lourd. Pour autant, le professeur de potions n’avait jamais songé à changer. L’effort aurait certainement était trop difficile, voire impossible et vain. Ce soir il se disait donc que c’était le moment de se laisser aller, de s’abandonner à la vie, ce qui ne lui arrivait jamais. De petits sourires cachés, c’est tout ce qu’il se permettait. Kasey, son ami à partir de ce soir, serait son maître de l’insouciance, et son échappatoire à sa sévérité connue de tous.
Son compagnon de soirée vint s’asseoir à ses côtés et Ethan ne broncha pas de cette proximité qui s’installait à nouveau. Au contraire, il se sentait bien. Il n’aurait pas su dire si le lendemain il voudrait tout oublier et présenter ses excuses à son confrère, mais une chose était sûre, il ne voulait pas rompre cet instant de liberté.

« Je ne te savais pas si bon chanteur ! Et quel accent ! »

Il se contenta de sourire. En d’autres circonstances, il aurait rougi, baissé la tête et n’aurait plus rien dit. Son silence ici ne se voulait pas gênant ; c’était plus une sorte de remerciement qui ne nécessitait pas l’emploi de mots. Il demeura là, fixant son camarade, amusé, heureux, serein. Il n’en était pas sûr, mais il lui sembla que ce sorcier qui avait paru être un grand manitou du whisky commençait à présent à céder à l’emprise du breuvage. Peut-être quelques sourires s’étaient incrustés, en plus des autres bien plus naturels ; une petite rougeur, un pétillement dans son regard. Ethan n’était pas très doué pour reconnaître les signes d’un début d’ivresse et se contenta de faire des suppositions qu’il garda pour lui ; c’était amusant.
Il songea que s’il avait eu une adolescence normale (c’est-à-dire la tête hors de ses bouquins et plus à rêver et profiter), elle aurait sans doute ressemblé un peu à ça : des moments de complicités avec quelques potes, un endroit chaleureux, une cigarette à la main, une bouteille de whisky. Rien de plus n’aurait été nécessaire, l’euphorie se chargeant du reste. Il se serait donc senti un peu moins bête ce soir-là, habitué à ce genre de flâneries.

Et puis le silence. Comme le calme mais cette fois-ci après la tempête (bien qu’on n’était jamais sûr de ce qui pouvait se passer par la suite ; ça aurait très bien pu être un calme entre deux tempêtes, après tout). Il ne savait pas s’il y avait quelque chose à dire ou à faire. Sa béatitude l’enfermait dans un mutisme serein, son esprit était un peu mélangé, confus et il n’aurait pas su décider de ce qu’il convenait de faire. Il demeura là, fermant les yeux et souriant, vautré dans le canapé, se félicitant à-moitié de son état. Il était bien, il espérait que ça ne finisse pas ainsi. Kasey sembla se mouvoir, il ne prît pas la peine d’ouvrir les yeux pour vérifier. Il aurait très bien pu en avoir l’impression sans que rien ne se produise. Peut-être était-ce lui-même qui se mouvait sans s’en rendre compte, trop ivre finalement pour que sa raison ne revienne. Et puis une main se posa sur sa tête, lui ébouriffant sa tignasse noire. Le geste raviva un ancien souvenir, et il faillit, avec un léger mouvement de stupeur, à la limite de l’imperceptible, appeler son ancien mentor, comme s’il avait été capable de revenir d’entre les morts. Mais non, ça ne pouvait être Joan, c’était impossible. Son esprit trop embrouillé pour discerner le réel de l’illusion le laissait imaginer des choses incongrues. La voix de Kasey le ramena soudainement à Swelty, dans la petite pièce derrière le comptoir de la bibliothèque.

« C’est plaisant de te voir si décontracté, Ethan. »

Le contact était chaud, la voix rassurante, Ethan rouvrit les yeux et sourît. Sa légère frayeur était passée aussi vite qu’elle était venue. C’était décidément bien un geste qu’il ne pouvait s’empêcher d’associer à l’ancien professeur de potions magiques de Malwen. Sans doute l’insouciance de la situation lui permît davantage de passer outre cette folle idée de revoir Joan.
Le contact était apaisant, et pourtant à cet instant, ça n’était pas assez pour lui. Il ôta la main de son camarade de sa tête avec douceur, et s’allongeant dans le canapé, posa sa tête sur les jambes du bibliothécaire. Il avait gardé la main de Kasey dans la sienne, et la replaça sur sa tête. Il n’avait pas cherché à savoir si la position le gênerait ou pas, il était bien mieux ainsi, et poser sa tête de cette façon les rapprocher davantage. Il aurait pu tout simplement poser sa tête sur l’épaule du sorcier mais alors il n’aurait pu garder cette chaude main sur sa tête, et il aimait bien ça aussi. Ça aurait pu paraître étrange de faire une telle chose, et en possession de ses facultés mentales, il n’aurait jamais osé. Il aurait même trouvé ça vulgaire, impropre à sa réputation et… deux hommes, comme ça, ça ne se voyait pas. Pourtant là il ne s’en soucia pas.

« Tu sais Kasey, jt’aime bien ! Faudrait qu’on s’fasse ça plus souvent, si ça t’botte !»

Il retira ses lunettes, rendant sa vue bien trop floue pour percevoir quoique ce soit, et tendant le bras vers la table, chercha à tâtons celles de Kasey. C’était bien une chose de gamin que d’essayer les lunettes de ses copains, juste pour voir comment l’autre percevait les choses. Sa vue cependant ne fut guère plus nette.

« Dis-moi, ta vue ça va !! La mienne est affreuse. T’veux essayer ? » dit-il en lui tendant ses propres lunettes.

Il gardait sur son visage toujours le même sourire amusé. Il prît une cigarette dans le paquet qui se trouvait non loin, la porta à ses lèvres et fier de sa bêtise, s’exclama :

« Tu m’allumes ? »

« Tu sais Kasey, jt’aime bien ! Faudrait qu’on s’fasse ça plus souvent, si ça t’botte ! »

« Dis-moi, ta vue ça va !! La mienne est affreuse. T’veux essayer ? »

« Ce sont avant tout des lunettes de repos, elles ne sont pas très corrigées. »

« Tu m’allumes ? »

« Tu vas encore t’étouffer si tu fumes, Ethan. Surtout allongé comme ça. »

« Tu veux manger quelque chose ? »

Le subtil mouvement dans ses cheveux noirs s’arrêta soudain. Ethan avait que sa question, quelque peu ambigüe, et c’était voulu bien entendu, avait troublé son camarade de soirée. C’était tellement drôle de surprendre les autres, c’était un jeu qu’il poursuivrait probablement dans sa relation avec Kasey. Il rît. Le bibliothécaire posa son regard sur lui, puis émît un soupir, révélateur qu’il venait enfin de comprendre cette sorte de blague digne d’un adolescent. Son sourire se fît plus grand alors. C’était tellement amusant, et en même temps, il s’était demandé comment Kasey aurait pu supposer autre chose venant de lui. Il n’était vraiment pas du genre à se laisser aller à ce genre de pensées envers qui que ce soit, et surtout pas envers un autre homme, ça aurait été tellement anormal et répugnant. Il n’avait rien contre ça, après tout chacun était libre de sa propre vie, mais lui n’avait réellement rien à voir avec ça ; ça ne lui appartenait pas. L’idée même d’embrasser un homme le fît frissonner, il se faisait prendre à son propre jeu.

Et pourtant, ses pensées se mirent à s’embrouiller et plusieurs images d’un homme, un sorcier, ce professeur, ce maudit collègue, Seth Ezékiel, le troublèrent. Il ne parvenait pas à expliquer l’état dans lequel il était à chacune de leurs rencontres. La maladresse, la vénération, le mutisme ou le bégaiement, la perte de tout repère, l’embrasement de son cœur. Il frémît davantage devant ces pensées et durant un quart de secondes, son sourire disparût, choqué.

Les gestes de Kasey pour boire une nouvelle gorgée de whisky le ramenèrent à la réalité, une fois encore. La cigarette qu’il avait tenu une seconde auparavant dans sa main avait disparu. Les lunettes de Kasey sur le nez, il ne distinguait toujours que très peu de choses. Il avait bien de la chance l’autre sorcier de pouvoir se défaire de temps à autres de cet instrument sans lequel il parvenait quand même à distinguer son environnement. Ethan, lui, en était incapable. D’un geste désarticulé il récupéra ses lunettes. Le court silence qui s’était installé le laissa pourtant penser qu’il était peut-être allé trop loin. Il songea que Kasey avait très bien pu vivre certaines expériences qui lui avaient fait suffisamment de mal pour que la seule pensée lui donne comme un goût amer dans la bouche. Ethan oubliait parfois que les autres n’était pas comme lui, aussi distant dans ses relations humaines. D’habitude se mêler de cette façon à ses connaissances ne lui arrivait jamais, et pas même l’idée ne traversait son esprit.

Il était écœuré par tous ses débordements émotionnels ingérables, impulsifs, imprévisibles et futiles. Trop d’énergie gaspillée pour tant de broutilles. Se mélanger avec d’autres que soi était une façon de fuir la solitude et son incapacité à être indépendant. C’était aussi un élément de comparaison, s’identifier à autrui permettait parfois de poser un avis sur soi-même. Tout ça, c’était du concentré d’égoïsme sur un fond de mièvreries affreuses et Ethan n’en voulait pas. Seul, il avait pris l’habitude de se connaître en prenant le recul suffisant pour que la chose soit possible. Pour ça, il n’avait donc pas besoin des autres, il n’en voulait pas. Ces moments éphémères de joies, d’amusements, toute cette camaraderie finissait toujours par disparaître en vous laissant aussi seul qu’avant. Les amis, s’est bien lorsqu’ils ne vous quittent jamais. Mais vient toujours cette peur lancinante le soir, quand il vous faut rentrer chez vous et que vous vous retrouvez seul, seul désarmé contre vous-même, abandonné. Les craintes, les doutes et les peines reviennent alors à l’assaut et tous les bons moments la journée, la légère insouciance, tout disparaît et se meut en un combat pour votre survie. Vous restez meurtri en silence, sans aucun moyen de défense, vos larmes se font muettes, et le lendemain, lorsque vous les retrouvez, ses amis, aucun n’a la moindre idée du drame de la nuit dernière. Vous ne dîtes rien, ça ne les concerne pas et ça gâcherait tout. Et vous vous retrouvez au final à faire semblant et prétendez que tout va bien. Les petits plaisirs reviennent, ils effacent le temps d’une minute vos souffrances qui se ravivent ensuite quand revient le silence. Et un jour, finalement, ils s’en vont. Vous prenez un autre chemin que les leurs, la bande explose, et vous devez tout recommencer sinon, vous êtes mort, vide au milieu de cette foule dans laquelle beaucoup ressentent la même chose, mais pareil, ils ne partagent rien. Le monde tout entier recèle de désespérés muets, de découragés, de ces braves êtres qui n’ont plus de forces et qui se laisseraient mourir volontiers à chaque instant.
Ethan avait fait ce choix de ne pas céder au désespoir, il ne pleurerait pas la nuit, en tout cas, plus maintenant. Ses amis seraient ces auteurs qui avaient rédigé pour lui tant de livres dans lesquels se cacher, dans lesquels échapper à un monde infâme aux couleurs artificielles. Jamais il ne regrettait ce choix, il le savait très bien, il aurait fait partie de ces morts vivants, et il ne voulait plus de vide ; c’était trop dur à combler, même impossible.
Une crainte s’empara alors de lui. Il n’était plus sûr de ce qu’il faisait ni où cela le conduirait. Son sourire s’évapora une fois de plus. C’était étrange car il gardait pourtant cette euphorie ; ça ressemblait à une de ces visions d’horreur, un peu comme si le monde autour de vous était en fête, mais que quelque chose se rompait en vous. Une tragédie au milieu de festivités. C’était… horrible. Mais il n’en était pas encore totalement à ce point.

La voix de Kasey, plus lointaine qu’auparavant eu l’effet d’un stupéfix. Il revint à lui.

« Tu vas encore t’étouffer si tu fumes, Ethan. Surtout allongé comme ça. »

L’insouciance, c’était bon. La moquerie le fît sourire, mais un peu comme si cela ne lui était arrivé depuis longtemps. Il prit conscience que son camarade venait de lui piquer sa cigarette mais qu’en plus, il l’alluma pour lui seul. Mufle ! C’était drôle. Ils étaient tous deux comme des gamins. La jeunesse… Puis Kasey se leva, en prenant la précaution de soulever puis de reposer doucement la tête d’Ethan sur le canapé. Le professeur de Potion prît tout de suite une étrange posture. Les fesses contre le dossier du meuble, les jambes en l’air, il avait maintenant la tête en bas. C’est de cette manière qu’il contempla son égal disparaître dans une pièce un peu plus loin. Il était soudainement pris d’une curiosité maladive de savoir comment étaient les appartements du bibliothécaire. Tandis que se fit entendre le bruit d’une armoire, il donna un coup de bassin pour se propulser en avant… enfin, en arrière… il ne savait plus exactement. Il se retrouva pourtant assis par terre entre le canapé et la table-basse en verre, comme un enfant égaré, les cheveux en bataille. Kasey revint, à présent d’une chemise noire vêtu. Elle lui allait assez bien. Il avait cru apercevoir un tatouage sur la peau blanche du sorcier, sa curiosité réapparut, il aurait bien visité les quartiers du jeune homme.

« Tu veux manger quelque chose ? »

« Si c’est pour me tuer encore avec des cacahuètes, non merci » dit-il amusé, tentant un clin d’œil, en vain.

Il se leva, prenant appui sur ses deux jambes, l’effort paraissait immense. Une fois debout, la tête lui tourna.

« Whoop ! » fit-il, écartant légèrement les bras comme pour retrouver l’équilibre et se stabiliser. « Je pense… que j’suis un p’tit peu rond ! Mais vraiment pas grand-chose hein ! »

L’effort était trop dur, il succomba et tituba vers l’avant. Trébuchant contre le pied de la table-basse, il tenta de s’agripper à tout ce qu’il pouvait dans de grands gestes désordonnés. Et puis la chute. Sa main saisît quelque chose, du tissu, on entendît un déchirement et enfin, un brut sonore, il est par terre, un morceau de la chemise de Kasey dans la main.

Ethan se relève à genoux devant le bibliothécaire à présent à moitié-nu. Son regard se pose tour à tour sur le torse du sorcier, puis sur le morceau de tissu noir.

« HAAAAN, j’suis désolé. »

« Si c’est pour me tuer encore avec des cacahuètes, non merci »

Lucian

« Je crois qu’on va attendre avant de refaire une soirée comme celle-ci, si l’alcool te fait cet effet, hein ! »

« C’est rien, va. Un coup de baguette et ce sera réglé en quelques secondes ! »

« Tu es irrécupérable, Ethan. »

Semi-choc. Ethan se sentait un peu mal d’avoir arraché ainsi la chemise du bibliothécaire. Il était totalement responsable bien évidemment, ou alors aurait-il pu blâmer cette chemise pour avoir été si fragile… il doutait qu’il pourrait dire une telle chose à son camarade. Ils restèrent tous deux, là, à s’échanger des regards qui jonglaient entre le morceau de tissus noir que le professeur tenait encore dans sa main et le torse du bibliothécaire, dénudé. Ethan découvrit alors la peau de son camarade, sa peau, nue, un tatouage qu’il n’essaya pas de déchiffrer, pas pour le moment. Tout ça était un peu bizarre. Il n’était pas intimidé, pourquoi l’aurait-il été d’ailleurs? Il osa même penser à y porter sa main, de manière délicate, un peu comme s’il avait été question d’un trésor qui méritait toutes les précautions possibles. Il allait oui, le toucher, il en avait envie.

L’autre explosa de rire, d’une manière étrange, un peu comme s’il allait succomber et s’éteindre sous ses yeux, à cause d’un trop plein de joie. Il riait, il ne s’arrêtait pas, des spasmes. Ethan s’inquiétait, ses anciennes pensées prirent fin là. Maintenant, il regardait l’autre se tordre dans tous les sens. Une torture par le rire. Il éclata, le bruit jaillît, il avait l’air heureux, ou alors il rattrapait un peu de ce temps perdu où les rires avaient été incomplets. Ethan, ivre, s’inquiétait. Ethan dans son état normal n’aurait pas même bougé. Il n’aurait pas compris d’ailleurs un tel comportement ; il ne l’aurait pas même envié. Et puis, peut-être que le lendemain les choses reviendraient comme avant. Il en serait fini de Kasey, fini des soirées, fini de se croire humain, ouvert à ce genre de choses. Ethan reviendrait comme d’un long voyage dont il ne souhaiterait pas parlé, dont les souvenirs ne trouveraient leur place que dans une vieille pensine, douves de ce qui serait à oublier mais qui ne le peut pas. Il tirerait sans doute un trait entre ce maintenant agréable et l’austère demain. Les habitudes reprendraient leurs droits.
Pour le moment, son visage montrait un air hébété, il ne disait rien

« Je crois qu’on va attendre avant de refaire une soirée comme celle-ci, si l’alcool te fait cet effet, hein ! »

Attendre, un long moment sans doute, une éternité. Il n’y aurait d’ailleurs probablement pas de prochaines fois. Il y pensait et en même temps, tout ça lui était tellement lointain que son visage ne transcrivait pas cette inquiétude, cette crainte du lendemain. Attendre… et si justement en attendant, il redevenait lui-même ?

« Insinues-tu que j’ai volontairement déchiré ta chemise, beau brun ? »

Non, il n’y avait aucune corrélation entre son comportement et ses pensées. D’un côté, cette absence d’auto-restriction lui permettait justement d’apprécier encore l’instant. Et tant qu’il n’était pas rentré dans sa chambre, il continuerait ainsi, ça lui plaisait, il arrêta donc de faire son martyr [ENORME CLIN D’ŒIL !!] en pensant à ce lendemain, synonyme de retour à la normale.

« C’est rien, va. Un coup de baguette et ce sera réglé en quelques secondes ! »

Kasey semblait vraiment apprécier l’instant. C’était un peu comme s’il ne pouvait plus s’arrêter. Qu’il continue alors, qu’il ne se prive pas de ce moment de joie. Ça pouvait être tellement rare. Sa main vint se poser dans les cheveux d’Ethan, une fois encore. Il frémît.

« J’ai l’impression d’avoir douze ans quand tu fais ça. »

Et ça le faisait rire. Guider pas sa curiosité, il leva sa main doucement, décidé à le faire. Oui, il allait oser ce contact bien trop intime pour les deux hommes tandis que l’autre concluait en qualifiant Ethan d’être irrécupérable. Sans doute oui, au fond, cette adolescence, cette folie de jeunesse qu’il avait sacrifiée s’était seulement cachée au fond de lui et pointait le bout de son nez par cette étrange soirée de désinhibition. Alors il osa, sans même douter ni craindre la réaction de son camarade. Sa main, dans un geste lent, plein de précautions, se posa enfin sur la peau nue de Kasey. Son torse.

Le toucher provoqua chez lui un léger sursaut. Pas suffisamment en tout cas pour que l’autre ne s’en rende pas compte. Son regard anciennement posé sur sa propre main et cet interdit qu’elle bravait, chercha ensuite celui du sorcier. Un million de pensées le traversa et il n’aurait pas su les distinguer. Elles s’entrechoquaient les unes contre les autres dans une pagaille d’idées impalpables. Il n’aurait pas su dire ce à quoi il pensait, peut-être qu’il n’y avait tout simplement rien à penser. Il ne cherche donc pas à le savoir. Sa main ne lui appartenait plus vraiment. Il n’aurait su dire si elle faisait à présent partie du corps de Kasey, comme une sorte d’appropriation de son propre corps dont il perdait le contrôle par ce simple et chaud toucher. Sa peau, elle était chaude, c’était si… étrange et rassurant en même temps. Il frissonna. Peut-être était-ce tout simplement sa main qui était froide. Celle-ci se mît à se mouvoir, à la recherche d’autre chose de bien plus précieux. Dans une caresse qu’il ne pouvait éviter, elle remonta doucement vers ses pectoraux ; ses doigts redessinèrent les contours du tatouage dans un infime contact, plus doux que celui d’une plume, plus délicat. Enfin, sa main se posa à l’endroit où le cœur de Kasey, sous la chair et baignant dans son sang, battait, faisant signe d’une vie certaine. Il sourît, et son visage avait maintenant l’expression d’un enfant émerveillé avec cependant cette pointe de tristesse ; un peu comme s’il n’aurait jamais un tel cadeau, lui.

« Ton cœur, il bat vite. »

Ses yeux s’étaient à nouveau posés sur sa main. Les battements d’un cœur, c’était bouleversant de beauté. Et lui, est-ce que son cœur battait encore après toutes ces années de distance, de froideur ?
Son autre main saisît celle de son camarade et la passant sous sa propre chemise noire, par les boutons du haut qu’il avait déboutonnés un peu après avoir ingurgité sa première gorgée de whisky, força non violemment le contact avec sa peau pâle et froide, l’appuyant à l’endroit où son cœur, s’il en avait un, devait battre.

« Est-ce que tu sens quelque chose ? »

Il avait besoin qu’il dise oui. Ou peut-être était-ce qu’il fuyait. Être le monstre ou l’homme, même à 23 ans, il ne savait pas ce qu’il voulait et ce que cela signifierait pour lui. Il espérait cependant quelque chose qui s’emparerait de lui avec suffisamment de force pour le changer à jamais.

« J’ai l’impression d’avoir douze ans quand tu fais ça. »

« Est-ce que tu sens quelque chose ? »

« Tu n’as pas besoin de moi pour répondre à cette question. »

Sa question pouvait paraître étrange ; demander à quelqu’un d’autre s’il ressentait les battements de son cœur, à quinze ans cela passait encore, mais à vingt-trois, ça n’avait plus de sens, c’était même stupide. Et pourtant, Ethan était sincère, sans doute l’une des caractéristiques de l’alcool. Ses mots n’avaient porté aucun mensonge, aucune malice, il n’avait pas cherché à intimider son camarade ; la seule envie de se sentir humain avait pris une grande importance, si grande qu’il n’avait pas pu rester dans me doute ainsi. À trop se montrer froid et austère avec les autres, il avait oublié ce que c’était que de sentir son coeur battre si fort que l’on avait l’impression qu’il allait sortir de sa poitrine. Non, il ne connaissait plus ce sentiment.
Peut-être parfois cela était-il arrivait, curieusement le phénomène se produisait à chacune de ses rencontres avec le professeur de Sortilèges et Enchantements. Il n’avait trouvé aucune réponse à ça, peut-être que ce sorcier dégageait quelque chose de spécial qui le bouleversait, jamais pourtant il n’y avait vraiment prêté attention, trop humilié da sa soudaine maladresse. À part ces petits évènements pourtant très rares, son cœur semblait avoir fait vœu de silence depuis bien des années.

Sentir la main chaude de Kasey sur son corps ne lui parût pas étrange. Autrement, il n’en aurait jamais osé le contact. Ça n’avait rien non plus de dégoutant. Après tout, Ethan n’avait aucun problème avec les relations que deux hommes pouvaient parfois avoir ensembles, tant que cela ne le concernait pas. De toute façon, il était bien incapable d’éprouver une quelconque attirance, d’avoir ne serait-ce le moindre désir pour qui que ce soit. Il ne craignait donc pas de sentir sa virilité ou sa fierté brisée par ce geste ; il l’avait demandé, forcé même, il en avait besoin pour bien plus qu’une simple lubie.

Sa main, elle avait quelque chose d’agréable. Le toucher, même s’il renvoyait à sa peur d’avoir perdu de son humanité, lui procura un plaisir particulier. C’était la première fois qu’on le touchait ainsi, et sous l’effet du whisky, il n’aurait rien pu faire s’il s’était mué en caresse.

Le sourire disparût du visage de Kasey, le professeur pensa un instant qu’il en avait peut-être demandé trop, que sauver son âme de cette manière n’était peut-être pas une chose que le bibliothécaire se sentait capable de faire. Et s’il portait une haine sans limites pour ce genre d’amours anormales, celles entre deux hommes ? Il ne pourrait qu’interpréter le geste du sorcier aux cheveux noirs comme révélateur de son orientation sexuelle. Il le détesterait, le rejetterait. Ethan… amoureux d’un homme, ça n’avait pas de sens ; il espérait que l’autre sorcier pense la même chose. Il ne dît rien, trop concentré sur la main de Kasey, essayant de ressentir un quelconque battement. Il ferma les yeux pour se concentrer davantage. C’est alors que la chaude main se mit en mouvement. Le contact prît l’aspect d’une caresse infime le long de son corps pâle et froid. Elle traça sur sa peau un chemin allant de son cœur, grimpant le long de ses pectoraux, puis agrippant sa gorge avec douceur, sa nuque et enfin vint se loger dans sa chevelure. Partout où elle était passée, Ethan n’aurait plus jamais froid. C’était ce qu’il avait ressenti. Une multitude de frissons s’étaient emparés de lui, il était le marbre sur lequel venait de se poser la braise. Il n’était plus dans les appartements de Kasey, il était ailleurs. Le bibliothécaire avait pris la fonction de guérisseur, Ethan était son patient.

Puis vint ce qu’il n’attendait pas. Les lèvres de Kasey vinrent se poser un instant sur les siennes. Un frisson s’empara de lui, il rouvrît les yeux, surpris. Que se passait-il ? Une immense chaleur se fit ressentir dans tout son corps, occasionnée par une gêne inévitable. Il ne fît rien, comme paralysé, toujours se demandant ce qu’il convenait de faire. Il aurait pu le repousser, il aurait pu le stupéfixer même. Mais n’avait-il pas lui-même provoqué cette suite incongrue ? Et si Kasey était ce genre de sorcier à s’éprendre du même sexe, et s’il avait interprété la demande d’Ethan comme une offrande charnelle ? Et s’il venait lui-même de se donner à Kasey sans s’en rendre compte ? Non, impossible, il n’avait pas songé à ça, il n’avait rien voulu d’une telle situation. Elle ne s’était produite que par incompréhension entre les deux hommes.
Le bouleversement devint plus grand lorsqu’il sentît le souffle de Kasey, ses mots murmurés à son oreille.

« Tu n’as pas besoin de moi pour répondre à cette question. »

Kasey s’écarta, Ethan avait toujours cet air surpris, effaré. Et saisissant sa propre main, le bibliothécaire vint la plaquer contre son cœur sans vie. Choc. Ses yeux s’ouvrirent davantage, ronds. Sous sa main il pouvait sentir des battements forts, la chaleur, son sang bouillonnait en lui. L’agacement qu’il ressentait parfois lors de ses cours ne provoquait plus rien en lui, il était vide de sentiments, jusqu’à aujourd’hui. Son cœur, c’était exactement le genre de choses qui ne lui était pas arrivé depuis bien trop d’années déjà. Son cœur, il aurait pu jaillir hors de son corps, débordant de cette vie qu’Ethan n’avait plus soupçonné. C’était comme un soulagement mêlé à une gêne inévitable. Il avait chaud, il était ému, il avait honte, son visage devait sans doute être écarlate ; il repensait à ce baiser tandis que l’autre sorcier s’écartait davantage comme pour le laisser seul avec cette nouvelle découverte : il vivait.

Et puis un rire, Kasey s’était amusé de lui. Le petit vicelard, le petit mufle, comment avait-il pu faire une chose pareille ? Et comment Ethan avait-il pu se laisser manipuler de la sorte ? Jamais, jamais il n’aurait laissé une telle chose se produire, jamais auparavant. Il s’était laissé avoir. Kasey riait, toujours le torse dénudé. Ethan le regardait, à moitié reconnaissant, à moitié éhonté. Le petit saligaud. Ses lèvres entre ouvertes, manifestant son état de choc, se muèrent en un sourire amusé. Il passa sa main dans ses cheveux, et fermant les yeux.

« Comment tu m’as eu ! Je te préviens, j’aurai ma revanche. »

Et puis, repensant à la fin de ce geste, il baissa un peu la tête, reprenant un air sérieux.

« … merci. Mais ne recommence plus jamais ça, et si ça vient à se savoir… je sais où tu vis. »

Il avait repris son air enfantin. Il ne se sentait pas tellement choqué par le geste de Kasey. C’est vrai, jamais il n’aurait laissé un autre homme l’embrasser, mais ce baiser n’avait rien d’ambigu pour lui. Il n’avait ressenti qu’une immense gêne, parce qu’il ne s’y était pas attendu et que les vapeurs du whisky ayant fait de lui leur pantin, il n’avait eu aucun contrôle sur son collègue, pas même ne s’était-il défendu lorsque la main de l’autre homme avait parcouru son corps.
Et puis… était-il vraiment sûr ? N’avait-il vraiment rien ressenti ? Il commença à douter. Et s’il avait été comme ça sans même le savoir, homosexuel ? Et s’il… non ce n’était pas possible. Il secoua la tête, l’autre se rendrait certainement compte qu’il luttait pour quelque chose, peut-être sans savoir qu’il cherchait simplement une réponse. Et puis… la revanche… Kasey s’était amusé de lui. Il pourrait en faire de même. Regardant vivement le bibliothécaire, il tenta de prendre un air sérieux, le regard d’un homme qui se découvre et qui s’apprend.

« Kasey… » dit-il en souriant.

Il se rapprocha alors à grande vitesse, vite, bien trop vite pour que sa proie ne lui échappe. Et d’un geste maladroit, il plaqua à son tour ses lèvres contre celles du sorcier. Un instant, peut-être un peu plus long que l’avait fait Kasey lui-même. Puis il s’écarta. Son geste n’aurait pas du tout le même pouvoir qu’avait eu celui de son camarade, plus tendre et plus assuré. Ethan, lui, n’était pas habitué à faire ce genre de choses. Ce soir, seul l’alcool le lui avait permis. Le mouvement avait été plus brutal, ils s’étaient plus cognés qu’embrassés. Ethan s’écarta finalement, puis il éclata de rire.

« Quel fiasco ! »

Il en était certain à présent, si cela avait été un test pour qu’il prenne conscience de sa sexualité, il n’avait aucune attirance pour les hommes. Kasey lui paraissait un peu comme un grand frère sans les liens du sang qui en découlaient. Kasey, c’était cette rencontre que l’on pouvait faire parfois et qui avait le pouvoir de vous apaiser, sur laquelle vous pouviez vous reposer deux minutes, en secret, quand le cœur n’est plus à l’effort mais au désespoir.
Il ne porta pas vraiment attention à la réaction de son camarade, après tout, lui avait été bien moins convaincant que l’autre. La question lui vint alors naturellement, il ne savait pas trop s’il se devait de la poser, mais la réponse l’intéressait.

« Kasey… tu… tu as déjà été avec un autre sorcier ? Je veux dire… avec un homme. »

Il regrettait un peu d’avoir posé la question, peut-être son attitude changerait-elle alors si en effet, Kasey était de ce bord-là. Peut-être serait-il moins naturel, moins relâché. Peut-être cela l’aiderait même à reprendre son ancienne carapace. Était-ce vraiment important au fond ? Il ne le savait pas. Habitué à ne pas entrer dans la vie privée des autres, par manque d’intérêt, il n’avait jamais réellement pris conscience des fantasmes des autres. Peut-être en avait-il côtoyé sans même le savoir. Peut-être avait-il été l’objet de désirs cachés… lui ? Non, c’était impossible, il n’était pas du genre à plaire, il était trop invivable pour ça. Comme pour retrouver l’ancienne insouciance, le professer reprît un peu de whisky, qu’il avala en une traite.

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