Le Personnage
Chapitre I : La famille, c'est une grande table et tout le monde autour
La scène se situe en fin de journée, dans une petite banlieue pavillonnaire, à une centaine de kilomètres de Boston. Une petite maison comme il en existe tant, simple et agréable à vivre. Digne de l'American Dream. A l'intérieur, deux silhouettes qui déballent les deux derniers cartons, un sourire heureux sur le visage. Ils ont une quarantaine d'année et quatre enfants à leur actif. Ce qui nécessite une organisation efficace. Après quelques minutes, une voiture se gare dans l'allée et c'est aussitôt la pagaille. Des cris de surprise, d'admiration, d'excitation, d'enthousiasme. Le tout multiplié par quatre. Dans la maison, Leigh prend les choses en main. Elle est la mère, elle connaît ses enfants et a vite fait de distribuer les tâches.
| Wayne. Tu es le plus grand, alors aide-moi, s'il te plaît. Il faut faire le ménage dans ta chambre, il reste encore plein de poussière. Et d'avance, non, tu n'utiliseras pas ta baguette magique ! Tu sais très bien que tu n'as pas encore le droit. Quand tu auras fini tes études à Malwen, là tu pourras !
Un baiser affectueux sur le front et l'aîné monte les escaliers en grognant, du haut de ses 14 ans. Pas toujours bien dans ses baskets, tendance à la flemmardise mais un bon garçon, dans le fond. Un peu rêveur et maladroit, il est toujours plein de bonnes intentions et ne ferait pas de mal à une mouche. Avec trois petites sœurs, il lui faut des trésors de patience quand il doit s'en occuper.
Pendant ce temps, Tristan se charge de la cadette. C'est un papa poule. Proche de ses enfants, il se sent fondre à chaque fois que l'un d'entre eux ne va pas bien. Malades, il accourt leur porter une tisane bien chaude et les garde à la maison. Déprimés, il les réconforte, avec sa maladresse de père. Et il a bien du mal à ne pas céder à tous leurs désirs…
| Skyler, à ton tour ! Je sais bien que tu as du travail à faire pour Malwen, cet été, mais ça peut attendre quelques jours, quand même, non ? Allez, voudrais-tu te charger de ranger un peu la bibliothèque ? Elle est toute neuve, et j'ai mis les livres un peu en vrac. Je te fais confiance, ton rangement sera d'une logique parfaite, ma grande.
Studieuse, elle était à Poudlard depuis deux ans et travaille beaucoup. C'est une intellectuelle. Avec elle, tout doit être bien rangé, soigneusement trié et organisé. Pas question de se laisser aller. Première levée dans la famille, elle aime s'occuper de ses sœurs, avec un sérieux parfois comique. Elle a de grandes aspirations et se donne la peine de les réaliser.
Leigh, à nouveau, prend en charge sa deuxième fille.
| Allez, viens Zoey, je t'accompagne voir ta nouvelle chambre. Tout est installé, il n'y a plus qu'à organiser son bureau. Je n'ai pas mis tes posters au mur, tu n'auras qu'à me dire où les mettre, d'accord ? Et ne t'inquiète pas pour l'année prochaine, ma chérie. Ce n'est pas parce qu'on a changé de pays que tu n'auras pas ta lettre. Tu verras, Malwen te l'enverra bientôt !
C'est une jeune fille anxieuse. Elle a toujours peur de mal faire les choses et de décevoir ses parents. Son truc, c'est le dessin. Peu bavarde, elle passe son temps à dessiner, comme un autre moyen de communication. Cela la rassure. Elle est encore un peu naïve et n'a qu'une hâte : aller à Malwen, pour être comme son frère et sa sœur, à qui elle voue une admiration sans bornes.
Enfin, le père va chercher la plus jeune. Elle est assise devant la fenêtre à regarder les étoiles avec une fascination non contenue.
| Heather, tu viens ? Je t'ai acheté une carte du ciel animée pour mettre dans ta chambre, on va aller l'installer. Et après le repas, on la lira ensemble. Je suis sûr qu'on va apprendre plein de choses…
La benjamine a tout juste 8 ans. L'âge des découvertes, de la curiosité. Tout l'intéresse. Et elle a hérité de la passion de son père. La divination. Depuis qu'elle a observé le ciel étoilé, elle s'est passionnée pour l'astrologie. Elle semble avoir une prédisposition pour ces sciences, plusieurs pressentiments ou rêves prémonitoires, comme un sixième sens. Vive d'esprit mais souvent un peu à part, ses camarades de classes à Londres la trouvaient étrange. Peu lui importe, elle continue à grandir et à chercher sa place dans cette grande famille.
Pendant plusieurs minutes, chacun vaque à ses occupations. Les chambres sont nettoyées, aménagées. Tout le monde y trouve son compte, et le rangement se fait dans la bonne humeur. Enfin, Leigh appelle toute la famille, du bas des escaliers.
| Réunion générale ! Tout le monde dans la cuisine !
C'est ainsi que l'on procède, chez les Moore. De temps en temps, on organise une réunion familiale. Chacun prend place autour de la grande table et l'on parle de la vie en famille. Celui qui veut s'exprimer peut prendre la parole, et on veille ainsi à entretenir une bonne ambiance dans la maison. Une fois tout le monde installé, la mère prend la parole.
| Alors, nous voici dans notre nouvelle maison. Je sais que cela vous change beaucoup de la campagne anglaise, mais il va falloir prendre les choses du bon côté. Comme vous le savez, votre père a été muté ici, en Amérique. C'est une grande chance. Vous allez découvrir de nouvelles personnes, et je suis sûre que vous vous plairez ici. Alors je compte sur tout le monde pour faire un effort. Bientôt, vous découvrirez tous votre nouvelle école, Malwen. Elle est très bien réputée.
Tristant acquiesce, soutenant sa femme. Il est fier que son entreprise de télécommunications l'ait muté ici. Ils ne mènent pas la grande vie, sa femme est journaliste, son travail n'est pas très bien payé. Mais ils s'en sortent bien et sa famille fait sa fierté. Il se tourne vers chacun des enfants et demande à chacun d'entre eux quel sont leurs espoirs pour cette nouvelle vie en Amérique. D'abord Wayne, puis Skyler, Zoey et enfin Heather :
| Cette année, je veux être accepté dans l'équipe de Quidditch de Malwen. J'espère que j'aurai le niveau !
| Moi, j'espère que la bibliothèque de Malwen est aussi grande que celle de Poudlard, et que j'aurai encore des Optimal cette année !
| J'ai hâte d'avoir ma lettre pour Malwen, et ce serait encore mieux s'il y avait des cours de dessin, parce que je veux continuer.
| Moi, j'aimerais que papa m'apprenne à tirer les cartes pour être sûre que ce sera une bonne année pour tout le monde.
Chapitre II : Qui de vous n'a pas regretté cet âge où le rire est toujours sur les lèvres ?
De nouveau, la maison des Moore et son animation quotidienne. Il y a des choses qui changent, en 3 ans, mais pas la présence chaleureuse de quatre enfants qui vaquent à leurs occupations.
L'aîné est majeur à présent, et en profite pour utiliser sa baguette magique à tour de bras, au grand dam de sa mère. Sans être brillant, Wayne a terminé ses études à Malwen de façon tout à fait honorable et est à la recherche de ce qu'il va pouvoir faire, maintenant qu'il doit décider de son avenir. Dans le salon, il en discute avec sa mère, à grand renfort de grognements mécontents et de cris indignés.
Skyler, quant à elle, est studieusement assise à la table de la cuisine. Cette année, elle passera ses BUSE, et pas question de se laisser surprendre par le temps ! Elle compte bien commencer à travailler dès maintenant pour être sûre de pouvoir tout réviser en temps et en heure. Comme toujours, son organisation est sans failles. Et sa mère l'admire ne parvenir à travailler malgré le bruit ambiant. Sans doute une question d'habitude…
Zoey, comme prévu, a été acceptée à Malwen et s'y est très bien intégré. L'école n'a plus de secrets pour elle, et tout le monde l'apprécie pour sa douceur et sa gentillesse. Plus à l'aise, elle continue plus que jamais à dessiner et s'est forgé une petite réputation auprès de ses amis et professeurs pour son talent artistique certain. Elle n'a plus grand-chose à envier à ses aînés. Cela fait près d'une demi-heure qu'elle est pendue au téléphone -cette invention très pratique des moldus fait son bonheur- avec une amie dans une conversation animée, digne de toute adolescente normalement constituée.
Heather est assise avec son père dans un canapé du salon, occupée à disputer une partie d'échecs. Excellent joueur, elle commence à maîtriser la technique, et a hâte de bientôt gagner une partie contre lui. Le jeu n'est pas simple, et tous deux sont excités comme des enfants. Chaque coup retourne la situation et la victoire est proche, pour Heather. Soudain, par la fenêtre ouverte entre un grand hibou, portant une lettre. En voulant la poser à côté de sa destinataire, le volatile heurte le plateau de jeu et tous les pions tombent à terre, déclenchant des cris. Puis il repart comme il était venu. La demoiselle, pestant contre la partie fichue, prend tout de même la missive déposée à son intention. Aussitôt, un sourire éclaire son visage. Elle est envoyée par Malwen.
| Papa ! Ca y est, c'est Malwen ! Venez voir ! Ils m'ont envoyé la lettre, tu avais raison ! Je suis acceptée là-bas. Oh, j'ai tellement hâte. Tu me promets qu'on ira m'acheter mes fournitures, demain ? J'ai besoin de pleins de choses !
| Eh, doucement, ma puce. Bien sûr qu'on ira acheter tout ce dont tu as besoin. Je suis fière de toi. Et pour fêter ça, j'ai un cadeau pour toi.
Tout le monde se rassemble autour de la plus jeune pour la féliciter. C'est la tradition. Tristan, lui, va chercher un petit paquet qu'il lui tend avec un sourire. Elle l'ouvre avec délicatesse. Ses yeux s'arrondissent de surprise et un sourire éclatant se forme sur ses lèvres. Le jeu de tarot de son père. Rien de peut lui faire plus plaisir à cet instant, si bien qu'aucun mot ne franchit sa bouche. Elle le regarde et se met à sangloter, submergée par l'émotion qu'elle a ressenti en touchant les cartes un peu usées par les générations.
| Oh, papa… Merci. Je sais que tu y tiens beaucoup.
| Tu connais l'histoire de ce tarot. Je le tenais de ma mère qui le tenait de sa grand-mère, et cela dure depuis plusieurs générations. Maintenant que tu entres à Malwen, c'est à toi qu'il appartient. Je t'ai appris à déchiffrer les signes qu'il t'envoie, et tu découvriras le reste par toi-même. Mais n'oublie pas, tu ne dois pas l'utiliser pour ton profit personnel. Il ne t'aidera pas pour les choses futiles, il ne travaillera jamais pour toi. Mais il peut te servir à aider les autres et à te guider dans les choix que tu devras faire. Je suis sûre que tu seras digne de cette tâche, mais tu verras qu'elle n'est pas toujours facile à porter…
Le père et la fille s'embrassent. Les autres observent, avec un sourire aux lèvres. Leur langage leur est souvent étranger, ils ne comprennent pas toujours ce don pour la divination, mais le respectent profondément. Et pour Heather, c'est tout ce qui compte. Elle a l'assurance d'être dans le vrai, et compte bien suivre les instructions de son père. Dans son esprit, elle est investie d'une mission. Toute la nuit, elle se familiarise avec chacune des cartes. La jeune fille ne l'avait jamais touché auparavant, mais à présent, elle sent que les cartes la reconnaissent. Le lien est crée, elle le sait.
Chapitre III : Qui a eu cette idée folle, un jour d'inventer l'école ?
Voilà plusieurs années que Heather est entrée dans le dortoir de Nissena. Vert pomme et ornée de représentations de cerfs, comme son emblème. Elle s'y sent bien, cette maison lui correspond. On dit que c'est celle des sages, des gens biens. On l'a accueillie à bras ouverts il y a cinq ans, lors de sa première année. Aujourd'hui, il y a plusieurs amitiés tenaces. Filles et garçons, indifféremment. Nissena et Cohary. Pas de Nasteen, elle en a de mauvais souvenirs. Ce sont toujours eux qui la traitent de folle et profitent de son caractère trop doux pour lui faire du mal.
| Eh Moore-la-cinglée ! Fais gaffe au Sinistros, un de ces jours, il pourrait bien te rendre une petite visite !
Au début, elle s'est énervée, a répliqué. Cela s'est terminé à l'infirmerie. Heather a cet esprit de contradiction et de refus. Pas question de baisser la tête face à ses adversaires, de leur faire ce plaisir. Elle est têtue, mais pas tout à fait idiote. Ils ne comprennent pas sa fascination pour ces sciences un peu occultes, qui font parfois peur. Ils aimeraient la changer, pour en faire une jeune fille banale et sage. Alors maintenant, elle provoque, elle exagère, joue du grain de folie que l'on perçoit en elle.
| Tu sais bien que je ne risque rien, je l'ai lu dans les cartes. Et puis, j'ai un talisman… Par contre, si j'étais toi, je me méfierais des balais volants, mon pendule me l'a dit…
Un brin moqueuse, mais c'est sa seule défense. D'absurdes prédictions qui font qu'on a peur de ce qu'elle pourrait faire ou dire. On ne sait pas trop si son don est réel, on la prend parfois pour une comédienne. Mais Heather est persuadée de savoir certaines choses. Et lorsque quelqu'un gagne son estime et son amitié, elle fait tout pour le protéger. Régulièrement, le soir, elle interroge le destin. Les astres, les cartes, le pendule. Elle dialogue avec eux et avance petit à petit sur le chemin du futur.
Ce soir-là, elle discute avec une amie, assise sur son lit.
| Dis, tu crois que je suis folle ? On me dit toujours que je suis trop bizarre. Pourtant, j'aime bien les gens, moi…
| Je crois pas que tu sois folle. Mais même dans le monde des sorciers, il y a certaines choses de la Magie auxquelles il est difficile de croire. Tu as de la chance.
| C'est vrai… Qu'est-ce que tu as pensé de moi, la première fois que tu m'as vue ?
| La première fois ? Que tu étais gentille. C'est ça, le premier mot qui m'est venu à l'esprit. Tu souriais, et tu regardais tout le monde avec gentillesse, comme si tu avais envie de devenir amie avec tous ces gens. Je me suis dit que tu devais une fille un peu bizarre, mais sûrement sympa…
| Justement, j'aimerais être amie avec tout le monde. Bon, sauf avec les Nasteen, je suis vaccinée !
| Ouais, et t'es du genre acharnée. Je me souviens de ce mec pas du tout sociable, qui voulait juste que tu lui fiches la paix. Et t'as pas arrêté de vouloir discuter avec lui.
| C'est pas de l'acharnement, c'est de l'optimisme. Je pense que tout le monde a quelque chose de bon en soi.
| Ah non, ça c'est pas de l'optimisme, c'est de la naïveté. Tu es trop gentille, et ça te joue des tours. Je suis sûre qu'il y a un tas de monde qui profite de toi. Eh, fais attention à la lampe ! Déjà deux fois cette semaine, j'ai pas envie de devoir la réparer encore une fois!
Heather sourit. Se perd un instant dans ses réflexions. Cela lui arrive souvent, de rêver, de manquer la moitié d'une conversation parce que son cerveau se met sur pause.
Et elle est souvent maladroite. Enfin, dans le sens de catastrophe ambulante. Un objet fragile ? Eloignez-le à dix mètres, si vous ne voulez pas risquer de le voir par terre dans la minute. Maladroite pour utiliser les mots et montrer ses sentiments, aussi. En amitié comme en amour. Pas évident de dire ce que l'on ressent, alors elle utilise autre chose.
| Ca te dirait que je te tire les cartes ? Comme ça, tu verras si la divination est plus intéressante que tu ne le crois…
| Si tu acceptes de regarder mon avenir, avec plaisir.
| Je ne suis pas une diseuse de bonne aventure. Ce ne sera pas forcément ton avenir, mais tu apprendras des choses.
| Je suis partante.
La jeune fille lui offre un sourire. Elle se penche et va chercher sous son lit un tissu de velours sombre dans lequel est emballé soigneusement son tarot. Comme si elle découvrait un trésor, elle prend les cartes et les pose sur la couverture.
| Surtout, ne touche pas les cartes, d'accord ?
Elle n'explique pas pourquoi car elle sait que son amie ne le fera pas. Les cartes ne doivent être touchées que par leur propriétaire, afin de solidifier leur lien. Ainsi, il n'y a aucune interférence, aucun risque que la volonté d'une autre personne n'intervienne dans le résultat. Elle veille sur son jeu comme sur la prunelle de ses yeux et ferait n'importe quoi pour le préserver.
Le dortoir est silencieux, les autres sont en train de finir de dîner et ne les dérangeront pas avant de longues minutes encore. Dans un coin brûle un feu de cheminée agréable, car l'hiver est rude dans cette partie des Etats-Unis. Cela ne la change pas beaucoup du climat londonien. Heather noue son épaisse chevelure rousse et se lave les mains avant de venir s'asseoir à nouveau pour commencer le tirage.
| J'ai étalé 22 cartes devant toi. Tu vas en désigner six, l'une après l'autre, et je vais les placer selon un ordre précis qui correspond à plusieurs questions. Vas-y.
Son amie s'exécute, et elle retourne les six cartes désignées. Aussitôt, elle sent que quelque chose ne va pas. Les cartes ne répondent pas aux questions. Toutes sonnent comme un avertissement et résonnent en elle comme un pressentiment de mauvaise augure. Cela n'a rien à voir avec la personne qui les a tirées, mais c'est comme si le tarot lui disait qu'elle ne l'interrogeait pas sur la bonne chose. Les sourcils froncés, elle lève la tête.
| Il y a un problème. Ce n'est pas toi, mais les cartes me disent autre chose. Je… pardon. Il faut que j'en sache plus, j'ai un mauvais pressentiment.
| Oh. C'est à propos de ce qu'il se passe à Malwen ?
Nul n'ignore plus les tensions qui déchirent le château depuis près d'un mois à présent. Les élèves se font de plus en plus agressifs, de fréquentes disputes éclatent, les duels s'enchaînent. Et les blessés aussi. Plus que jamais, la guerre entre Nissena et Nasteen est déclarée. Au point que cela en devient effrayant. Il y a ceux qui profitent de ce climat de violence pour régler leurs comptes, et ceux qui commencent à comprendre que les choses vont trop loin et prennent peur. Car il n'y a pas qu'à Malwen. Tous les élèves lisent les journaux et savent que le Monde Magique est sur le point d'éclater. Tous ne comprennent pas exactement pourquoi, mais chaque jour délivre son lot de mauvaises nouvelles. Combats de rues meurtriers ou manœuvres politiques douteuses, toute la population est en éveil. Les violences montent de partout et gagnent du terrain.
Heather s'inquiète pour sa famille. Sa mère est journaliste et donc exposée plus que jamais aux conflits qui envahissent le monde sorcier. Dans une lettre, elle lui a écrit qu'elle s'est retrouvé au cœur d'un énième affrontement au cours d'un reportage et qu'un sort perdu l'a blessé à la jambe. Rien de grave, mais la peur est bien là. Son père, lui, est moins concerné, mais le danger semble être présent partout. Ses frères et sœurs ne sont plus à Malwen et continuent leurs études, mais là aussi, selon leurs fréquents hiboux, les choses commencent à dégénérer.
Tous sont précieux à ses yeux, et elle ne supporterait pas de les perdre, tout comme ses amis. Engagée et courageuse, Heather sait qu'elle n'hésitera pas à se battre à son tour pour les préserver, et à lutter pour sauver un monde juste. Elève plutôt douée bien que peu emballée par les sortilèges agressifs, son talent réside dans sa faculté à passer partout sans se faire voir et à préférer des sorts plus simples mais résolument efficaces.
Tard dans la nuit, la jeune fille interroge les cartes. Tout indique un évènement important, un changement. La carte de la Mort la hante. Elle sait pourtant qu'elle indique la fin d'un cycle, la renaissance. Mais elle sait aussi qu'il ne peut y avoir renaissance sans destruction. Ce pressentiment ne la quitte pas. Sa nuit est agitée et elle peine à trouver le sommeil. L'aube n'est pas encore arrivée que la certitude qui l'habite depuis de longues heures se réalise...
Chapitre IV : Pour parler de la guerre, il n'y a que des larmes
Le sommeil berce Heather. Au loin résonnent encore des cris mais elle ne les entend pas. Il n'y a que le bruit de ses rêves. Cette impression de douceur et de paix l'enveloppe, et elle se refuse à la quitter. Pourtant, autour il y a la guerre. Le jour tombe et dans son sommeil, les souvenirs affluent comme s'ils n'étaient pas les siens. Elle voit la scène de l'extérieur.
Les premiers hurlements dans le château qui la réveillent en sursaut. Les regards terrifiés échangés avec ses camarades de dortoir. Et puis leur directrice de maison qui arrive en courant, avec cette phrase, qui tourne longtemps dans sa tête :
| C'est la guerre…
La femme ne trouve pas quoi faire, ni que leur dire. Elle sait qu'il n'y a aucun moyen de les faire évacuer pour l'instant, et elle sait aussi que beaucoup voudront se battre, peu importe les consignes données. Après un moment de flottement et le silence qui accueille cette déclaration, l'agitation envahit le dortoir, des larmes coulent sur les joues des plus jeunes. Malgré la peur qui tord leur ventre, tout le monde d'habille et prend sa baguette. Chacun a conscience que si leurs assaillants recherchent les élèves, ils viendront dans les dortoirs. Elles ne peuvent pas rester là. Bientôt, c'est une fuite désorganisée qui se produit, tandis que les premières explosions retentissent. La panique qui envahit Heather. Et elle court, baguette à la main. Une amie la suit de près, terrifiée.
Après la fuite, le combat. Après plusieurs minutes de course, les deux jeunes filles se trouvent au milieu d'un large couloir, devenu scène de combat. Des étincelles lumineuses fusent de tous les côtés. Au milieu des cris, elles se baissent, tentent de se protéger par des sorts de défense et de s'éloigner. Elles ne connaissent même pas leurs ennemis. Cette guerre-là les dépasse. Tout semble se dérouler comme dans un film dont on aurait coupé le son pour montrer la violence des images. Elles s'accrochent l'une à l'autre avec désespoir, avec la certitude qu'elles doivent rester ensemble.
Bientôt, elles découvrent le spectacle des morts et des blessés. Elles ne sont pas seules. Parfois, une silhouette alliée émerge du brouillard de la guerre pour s'assurer qu'elles vont bien. Puis disparaît à nouveau, pâle présence qui les abandonne aussitôt pour se pencher sur un corps. Un petit garçon. Heather reste figée devant cette vision tandis que son amie a continué sans voir qu'elle s'est arrêté. Il est si jeune. Une aberration, il n'a pas sa place dans ce décor de terreur. Il n'aurait pas dû se trouver là, sous l'horreur de la bataille. Pourtant, ses yeux sont fermés et la conscience de cette première mort lui arrache un sanglot. Un instant d'inattention et un sort touche son bras gauche. Une blessure profonde qui fait couler le sang sur sa peau blanche. Un cri de douleur que l'on n'entend pas. Elle doit continuer.
Un autre souvenir, bientôt, envahi ses rêves. Elle court malgré sa blessure, un morceau de tissu autour de son bras, taché de rouge. Après la désorganisation des premières minutes, les étudiants commencent à organiser leur défense. Tous cibles d'un ennemi plus puissant qui cherche à les faire taire, ils s'allient. Nissena, Cohary, Nasteen. On ne regarde plus la couleur de la cape de celui qui combat à ses côtés. Au détour d'un couloir surgit une créature gigantesque armé d'une massue. Un troll. Un jeune homme rejoint aussitôt Heather, alors que le monstre s'apprête à l'assommer. Un sortilège de désarmement, efficace. Elle fait léviter une des armures qui décore les couloirs de Malwen. Les troll sont idiots, et lorsqu'elle amène le tas de ferraille juste devant ses pieds, il trébuche et tombe dans un bruit sourd. En un instant, un sortilège de stupéfixion achève de le mettre hors-jeu. Malgré le climat de peur, ils s'autorisent un sourire. Une petite victoire. Dérisoire, mais tellement importante. Un instant de répit et d'amitié fugace.
La bataille est rude, longue. Elle dure toute la journée, et pas un instant la jeune fille ne pense à fuir. Elle avait senti ce qui allait de passer et se doit de l'empêcher. Il n'est pas question d'abandonner le Château, de laisser les autres se battre pour elle. Personne ne l'en dissuade. Au fur et à mesure, les petites blessures s'accumulent, la fatigue la prend. De plus en plus d'inattentions lui coûtent de frôler la mort. A chaque fois qu'elle voit une silhouette à terre, elle se précipite, avec la crainte que ce soit un être cher. Chacun des visages au sol reste gravé dans sa mémoire. Elle n'est qu'en cinquième année et connaît peu de sorts de soin, mais essaie désespérément ceux qu'elle connaît lorsqu'un blessé surgit devant ses yeux. Tout se passe si vite.
Si vite aussi l'homme qui arrive devant elle, dans les escaliers qui mènent dehors, baguette levée. Son réflexe de défense, par un sort de Bloque-jambes, le fait chuter brutalement. Au ralenti, elle voit son corps tomber et son crâne heurter les marches sans un cri. Le sang coule et une certitude atroce l'envahit, qu'elle répète à haute voix.
| J'ai tué un homme.
La suite se passe dans un brouillard absolu. Heather n'entend pas le pendule accroché à son cou comme un pendentif tomber à terre. Seul son acte hante ses pensées. Elle a ôté la vie. De longues minutes de flottement, où elle ne comprend pas comment elle a pu survivre. Elle a vu un rayon rouge arriver sur elle, et pourtant, son corps la soutien toujours. Elle avance et soudain, la réalité l'assaille à nouveau. Les sons reviennent, cent fois amplifiés. Les cris, le bruit des sortilèges qui fusent, les explosions. Les lumières aussi. Celles colorées des sorts, la lumière du jour sous les nuages, les baguettes allumées comme des centaines de petits points.
Le choc, le combat, la mort, l'incompréhension, la peur, la douleur. Brutalement, tout s'écroule et Heather se sent doucement glisser vers l'inconscience.
Un corps à terre, comme tant d'autres ce jour-là. Une jeune fille pas très grande à la peau pâle. Allongée ainsi dans l'herbe, elle paraît frêle comme une enfant. Pourtant, elle est presque une femme à présent. Elle possède les courbes d'une adulte ; des hanches pleines assorties à une taille fine. Sa poitrine est à peine visible sous sa cape à l'effigie de Nissena, mais on ne peut nier sa féminité flagrante. Son cou est fin et termine un visage allongé avec des pommettes saillantes. Elles s'ornent facilement d'un rose délicat sous la gêne, mais aujourd'hui, ce sont des coupures qui ont laissé des traces de sang sur sa peau douce. Ses lèvres sont sèches mais, malgré son inconscience, s'entrouvrent en un faible sourire, comme si elle avait accueilli sa fin avec joie. D'habitude, il est sincère et chaleureux, mais la guerre change les gens. Ses yeux se sont clôts depuis de longues heures, mais si une amie avait à l'identifier en l'emmenant se faire soigner, elle pourrait les décrire. Gris. Parfois sombres comme l'orage lorsque la luminosité est faible. Parfois clairs comme l'eau d'un torrent. Ils sont le reflet de ses émotions et il est facile de lire en elle. Un regard pétillant de malice lorsqu'elle est entourée des gens qu'elle apprécie, qui devient dur et froid quand une présence indésirable lui est imposée. Son visage est entourée d'une cascade de cheveux roux, presque auburns, héritage de ses origines anglaises. Lisse et habituellement attachée avec soin, sa chevelure flamboyante ressort sur le tapis vert, où Heather est tombée.
Son corps souple s'est tordu dans sa chute et le sang se démarque sur sa peau laiteuse à plusieurs endroits. Une entaille sur son bras gauche et une longue plaie le long de son ventre. Elles ne disparaîtront jamais totalement.
Pourtant, à son réveil, lorsqu'on lui annonce la destruction complète de Malwen et la volonté de reconstruire un nouveau Château, Heather sait déjà qu'elle reviendra.
Sujet: Heather Moore {100 % 
Jeu 28 Oct - 23:43
